Le vélo qui fait voyager

lundi 14 août 2017

Roule ou crève

Cette fois-ci, ça devrait tenir... 

C'est au moins la dixième crevaison. Il a arrêté de compter depuis longtemps. Tout a commencé dès le 2e jour par une petite entaille dans le pneu. Elle s'est progressivement agrandie jusqu'à laisser passer un bout de chambre à air que le bitume se faisait un malin plaisir à scalper de plus en plus souvent, le junkie!

Floyd ne s'en est pas rendu compte tout de suite, croyant jouer de malchance. Puis il a essayé de colmater la brèche en collant une rustine directement dans le pneu. Ça a tenu quelques jours...
Cette fois ci, c'est carrément 4 rustines qu'il a mis en tout. Dedans dessus. C'est un peu la tentative de la dernière chance. Son tube de colle gît sur le sol, rachitique comme un Jesus sur son crucifix, il a tout donné. Il espère juste que la réparation tienne jusqu'au prochain magasin de vélo pour se racheter un pneu. Il n'a plus d'autre solution.

Quelques kilomètres à peine plus loin, entre Fort Augustus et Drumnadrochit, alors qu'il longe le Loch Ness, il entend le bruit caractéristique tant redouté et ô combien familier, il sent l'air lui caresser les mollets à chaque tour de roue.

Son pneu vient de rendre l'âme.

Il essaie encore un dernier truc pour pouvoir continuer a rouler : la technique de la chambre à herbe. Il bourre le pneu d'herbe pour pouvoir continuer à rouler sans abimer la jante. La technique du docteur Frankenstein ne marche pas du tout ou plutôt si justement, il est condamné à marcher.

Il se trouve à 15 km du village le plus proche. Il n'est même pas sûr d'y trouver un magasin de vélo*. Cela représente environ 3h de marche. Il devrait arriver vers 20h30. Il plantera la tente et il avisera demain.

Enfin s'il y arrive. Il est du mauvais côté du lac. Alors qu'en face, la route est méconnue et fort pittoresque,  ici, elle est sinueuse et fort fréquentée. C'est la route directe d'Inverness pour les touristes et les gens qui rentrent du boulot; tous pressés. Il n'y a pas de place pour les piétons.
Floyd peut vérifier par lui-même ce que lui a dit Sir Givalot: ici, les automobilistes sont adorables et se font des politesses entre eux. Mais avec les piétons, ils sont exécrables, aucun respect. À vélo, Floyd doit être considéré comme un vehicule car il n'a pas eu souvent à se plaindre du comportement des automobilistes, bien au contraire. Mais depuis qu'il est à pied, c'est une autre histoire. Là où on lui aurait laissé de la marge, il se fait frôler. Une mini a même failli lui emporter le bras avec son rétro.
Mais il n'a pas d'autre solution. Il n'y a pas d'accotement, il n'y a pas de place pour arrêter un véhicule, et ça roule vite...

Alors il marche. Il essaie de voir le bon côté des choses. Déjà, il ne pleut pas. Puis il se repasse le film de la journée. 

C'était pas mal du tout. Il a croisé des dizaines de biches, passé le temps dans un café pour éviter la pluie, longé des lacs, suivi des petites routes perdues dans la montagne toute rose de bruyère en fleur, s'est arrêté pour admirer les 1000 paysages que sculptaient les nuages, lu un poème de Robert Burns en contemplant la cascade qu'il y décrivait, bu une bière en écoutant la musique d'un joueur de cornemuse...

Oui, c'était plutôt une chouette journée... 

Jusqu'à maintenant. 

Il est perdu dans ses pensées, à gonfler des  framboises et à essayer de rester positif mais surtout gonfler des framboises quand même. Il n'a pas marché 2 kilomètres lorsqu'un R'ange Rover argenté se gare à sa hauteur.

- Do you need a repair kit?
- What ?
- Do you need a repair kit, you have a puncture.
- Yes, but what I need is a new tyre, it's totally worn out.
- What tyre do you need? 26 or 28?
- 28
- Yeah, I think I have one. Wait...

Floyd ne se rend pas bien compte de ce qui est en train de se passer.

Et, tel l'archange Raphaël, un homme aux cheveux d'argent descend de son véhicule dans une aura de lumière pendant que sa famille patiente a l'intérieur. 

Il ne s'agit en fait que de Matéo, un simple Italien qui aime bien le vélo également et qui s'est dit que, s'il était dans la même galère, il aimerait bien que quelqu'un s'arrête pour lui aussi.

C'est déjà un miracle de tomber sur quelqu'un qui se balade avec des pneus de rechange en 28 pouces, il faut en plus que celui-ci soit adapté à sa jante. Floyd ne veut pas s'emballer trop vite.

Après avoir fouillé rapidement dans son coffre, Matéo sort le graal du pneu de baroudeur : un schwalbe marathon mondial en 700x35c. Exactement ce qu'il lui faut. Floyd ne l'aurait certainement jamais trouvé en magasin ici.

Il n'en revient pas. Matteo reste pour l'aider à monter le pneu. Ils discutent un peu. Matéo va jusqu'à Fort Augustus. Mais c'est dans l'autre sens, s'étonne Floyd. Oui, il allait dans la direction opposée mais quand il l'a vu avec son pneu en vrac, il a fait demi-tour.

Décidément, il y a des humains formidables. Le pire, c'est qu'il allait repartir comme ça. Mais Floyd sait que ce genre de pneu coûte assez cher alors il lui demande son adresse pour lui envoyer un virement**. 

Il mettra certainement un peu plus pour qu'ils boivent un coup à sa santé. Car en lui sauvant la vie au sens figuré, sur cette route, Matteo lui a peut-être même sauvé la vie au sens propre.

* Il n'y en avait pas.
** Contacté par mail, Matteo a refusé quelconque argent.

lundi 7 août 2017

That's the spirit!

Floyd roule et roule à travers la montagne, une espèce d'épée de Damoclès en forme de nuage au dessus de la tête. Il sait que le beau temps ne durera pas alors il roule, il roule le plus longtemps possible. Il est 21h, il hésite à passer un dernier col au crépuscule pour finir la journée. Les nuages semblent s'accumuler de l'autre côté de la vallée. Il n'a pas envie de finir une aussi belle journée sous la pluie. Mais les rares voitures qui en viennent sont sèches alors il poursuit. Arrivé près de Buttermere, il monte la tente au milieu des moutons qui le regardent, curieux mais quelque peu circonspects. Alors que les derniers rayons de soleil jouent avec les nuages pour enluminer le ciel et faire scintiller une cascade qui se faufile du sommet de la montagne jusqu'au lac en contrebas, Floyd s'apprête à passer une bonne nuit.

Il s'est endormi dans le magnifique Lake District. Quand il ouvre les yeux, changement de décor. Une pluie fine, tenace, qui lui fouette le visage à chaque bourrasque de vent, s'est installée et rend tout morne et terne. Il se réveille au Mordor au milieu de l'hiver.

Floyd reconnait bien là toute l'excentricité  britannique qui s'exprime jusque dans sa météo estivale et l'anti-conformisme de punk anglais que les gouttes martèlent à un rythme frénétique sur son gore-Tex alors qu'il replie la tente.

Quelques jours auparavant, il se serait trouvé bien malheureux, tout seul dans ce paysage désolé et triste, de devoir remballer sous la pluie, de repartir trempé à peine levé. Aujourd'hui il enfile ses gants sans y penser alors qu'il avait d'abord eu tant de mal à se résigner à les mettre en plein mois de juillet.

Le ruissellement de la pluie a fait son œuvre sur son esprit comme il l'a fait sur le paysage. Il y a creusé des sillons de résignation et d'abnégation mais a rendu encore plus aigus les pics d'humour et plus saillant le granit de son optimisme.

"I say, what a refreshing day for riding, isn't it?" Lance-t-il aux rares cyclistes qu'il croise.

En effet, il n'y a pas grand chose d'autre à faire sinon affronter stoïquement les éléments pour tenter de fuir cette désolation liquide, ce paysage aride de tant d'humidité tout en gardant un petit rayon d'humour pour éclairer toute cette grisaille d'un peu de rire jaune.

Keep calm and carry on.

Il mets le cap sur le mur d'Hadrien que l'empereur romain avait fait construire pour préserver son territoire de la menace des Pictes, ces guerriers qui se battaient le corps nu seulement recouvert de peinture bleue pour impressionner l'ennemi et pour montrer qu'ils ne craignaient pas que les coups pleuvent sur eux. S'ils devaient mourir, c'est que c'était écrit.

Floyd se demande s'il ne devrait pas faire comme eux. Quitte à être mouillé... Mais il
se dit surtout qu'au-delà de ce mur il fera peut-être meilleur, qu'il pourrait peut-être faire un pacte avec les Pictes pour leur piquer un peu de pigment et peindre un coin de ciel bleu au dessus de sa tête.

En attendant, il pleut toujours. La pluie n'est pas un compagnon de route agréable au premier abord, ni au deuxième d'ailleurs! Il est glacial, têtu, embêtant et semble ne jamais vouloir vous lâcher de la journée.

Mais à force de s'incruster, il commence à faire partie du voyage. Être trempé, replier sa tente sous la pluie, avoir froid, tout cela est devenu normal. Le soleil, l'été? C'est surfait! Floyd se surprend même à, sinon apprécier la présence de ce compagnon envahissant, du moins la tolérer de mieux en mieux, jusqu'à l'oublier presque.

What a splendid day, it's nearly not raining!

Les petits plaisirs deviennent plus intenses. Qu'il fait bon s'arrêter dans un café ou dans un pub pour se réchauffer un peu, sécher ses affaires et boire une soupe brûlante, comme il est lumineux le sourire des gens qu'il rencontre furtivement... Ses exigences se sont abaissées. Quand il pleut toute la journée, il fait moche. Quand il pleut par intermittence, il fait beau...

Et, si la pluie gâche souvent le  paysage, elle sait parfois le rendre mystérieux et fantasmagorique. Pas étonnant que nombre d'écrivains d'heroic fantasy aient pris leur inspiration dans ce pays aux noms évocateurs : Gore Bridge, Hell Hole,  Dead Water, ... tout un programme ! Il s'attend à voir surgir un Hobbit à tout moment. Même le beau temps a quelque chose de surnaturel. Ce n'est pas étonnant si en anglais une éclaircie se dit "sunny spell" sachant que "spell" peut se traduire par sortilège.

Heureusement, il a un allier fidèle: le vent qui lui donne le petit coup de pouce en haut des montées et qui lui sèche sa tente en moins de deux dès qu'il ne pleut plus. Oh, parfois ils ne sont pas bien d'accord sur la direction à prendre mais en véritable amis ces chamailleries ne durent jamais bien longtemps et ils se remettent très vite sur la même longueur d'onde.

Grâce à lui, Floyd a déjà atteind le mur d'Hadrien. Mais le ciel reste obstinément gris. C'est comme ci la couleur avait renoncé à venir jusqu'ici...

Une fois la muraille franchie, Floyd a l'impression de s'enfoncer en territoire inconnu, inexploré, hostile. Il est Jon Snow s'aventurant chez les Wildlings. C'est bête car la civilisation n'est qu'à quelques kilomètres de lui. Il a le sentiment étrange d'être observé et doit ressentir quelque chose d'assez semblable à ce que les soldats romains qui s'aventuraient dans cette région devaient ressentir, une sorte d'inquiétude sourde.

Quand il lève la tête il s'aperçoit que des centaines d'yeux sont rivés sur lui. Les autochtones à laine et à cornes n'ont pas l'air d'avoir l'habitude de voir des cyclistes dans ces contrées reculées. Heureusement, ils ont plus peur de lui que le contraire.

Non, le plus difficile n'est pas la pluie. Le plus dur à gérer est la solitude des terres qu'il traverse et qui infiltre son moral.

Alors qu'il n'était qu'à quelques dizaines de kilomètres de mégalopoles telles que Manchester ou Leeds, il a traversé des landes totalement désertes, abandonnées au moutons. Une facette de l'Angleterre qu'il ne connaissait pas ou du moins qu'il n'avait jamais ressenti de façon aussi intense.

Puis tout à coup, alors qu'il traverse un petit village côtier, un rayon de soleil plus persévérant que les autres perce enfin la carapace ouateuse au-dessus de lui. Bientôt, toute la muraille grise éclate dans une explosion de lumière.

Une fillette de 3 ans semble toute étonnée, un peu effrayée devant le spectacle, comme une enfant qui decouvrirait la neige pour la première fois. Il imagine la conversation entre elle et sa mère : "Mais maman, quelle est cette étrange lumière et cette chaleur qui envahit mon corps et c'est quoi ce truc qui brille dans le ciel ?"

"C'est le soleil, ma puce, le soleil!"

dimanche 6 août 2017

Scotland 2017 - Lille - St Andrews (Les chiffres et la carte)

Lille (France) - Saint Andrews (Scotland)

26 jours de voyage
19 étapes
7 jours de repos (rando, tour à vélo, farniente, lessive, ...)

22 cols gravis (1 en France et 12 au Pays de Galles, 9 en Angleterre)
Le plus haut: Gospel Pass (550m)
Le plus bas: Bwlch (56m)
Le plus fort pourcentage: Hardknott Pass (30%)
Le plus tard: Newlands Hause (21h)

Etape la plus longue: 01 Lille-Le Tréport 163,5 km
Etape la plus courte: 09 Beddgelert-Llanbéris 24km
Etape avec le plus de D+: 06 2265m d'élévation d'après oruxmaps
Etape avec le plus de cols: 07 4 cols pour 104km soit un col tous les 26 kilomètres

Partie 1: Lille-Crewe -12 étapes - 13 cols - 4 jours de repos - 1162 km soit 97km/étape en moy.
Partie 2: Crewe-St Andrews - 7 étapes - 9 cols - 1 jour de repos - 853 km soit 122km/étape en moy.

Total: 2015 km
soit 77,5 km/jour ou 106km/étape en moy.

Avaries:
Au moins une dizaine de crevaison, j'ai arrêté de compter. Mauvais choix de pneu.
Manette de dérailleur avant bloquée

Et la carte du parcours réalisé pour l'instant avec les cols, les lieux intéressants et les étapes.

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vendredi 21 juillet 2017

Le voyage intérieur

"Putaaaaain!"

On ne va pas s'approcher trop près, Floyd a l'air agacé.

Il est vrai que replier le barda sous la pluie  ce matin, c'était déjà pas très marrant. Et avec les midges qui tentaient de lui dévorer la face, ça l'était encore moins. Mais comme la pluie et les midges, ça ne suffisait pas, son pneu n'a rien trouvé de mieux que de chopper une crevaison quelques kilomètres après le départ. Sous la pluie et avec les midges et nulle part où s'abriter dans cette lande désolée.

Et comme la pluie, les midges et une crevaison, ce n'était toujours pas suffisant, la valve de chambre à air en a profité pour se démonter au moment de retirer la pompe après avoir gonflé le pneu à bloc. Tout l'air s'est échappé d'un coup. Floyd jusqu'alors resté zen a laissé échapper un juron. Il n'y a plus qu'à tout recommencer. Sous les trombes d'eau et les nuées de midges.

Il y a des jours comme ça où tout part en cacahouète. Pour l'instant Floyd éclate de rire. Il n'y a pas grand chose d'autre à faire. Mais le doute s'installe.

Heureusement, il n'a que 24 km à parcourir aujourd'hui. Lui qui pensait s'ennuyer... La certainement très passionnante visite du plus grand musée de l'ardoise d'Europe ne sera pas pour lui finalement.

Les lunettes de soleil vissées sur la casquette comme un pied de nez à l'incontinence des nuages, il repart et commence l'assencion du col de Llanbéris. Au moins, lui se montre bienveillant.

Avec la pluie, la montagne s'est parée de dizaines de cascades. La route  s'est faite rivière. Floyd pense que le paysage est joli mais il n'est pas vraiment sûr. Il ne le voit pas très bien derrière l'epais rideau de pluie qui le cache.

Dans la descente, un bus lui bloque le peu de vue qu'il lui reste. Un bout de ligne droite se  profile, il le double dans des gerbes d'eau. C'est excitant mais ça mouille !

Une fois arrivé et la tente montée, Floyd se blottit sous la couette, complètement transi. La pluie veut s'y inviter elle aussi et tambourine sur la toile de tente comme une malade.

"Mais qu'est-ce que je suis venu foutre ici?" se demande-t-il.

Bonne question.

Depuis  que sa manette de dérailleur avant s'est bloquée, il n'est plus vraiment maître de son destin. La Route fait sa loi.

Il doit se taper les montées à 14% sur le  plateau du milieu. Ça l'épuise. Il doit totalement revoir sa façon de rouler. Il s'économise.

Et quand la Route a décidé que la limite était atteinte, il faut lui obéir.

Alors il apprend l'humilité. Il courbe l'échine devant la moindre petite côte comme s'il se prosternait devant la plus grande des déesses. L'insolent qu'il était a fini de croire qu'il pourrait survoler les cols, il ne se lance plus à corps perdu dans les descentes pour tenter de battre de vains records de vitesse (75,85 km/h pour l'instant soit dit en passant). Il en profite pour retrouver un semblant d'énergie. Et réfléchir.

"Mais pourquoi je fais ça ?"

Voyager le plus écologiquement possible, repousser ses limites, voir ses amis, aller à la rencontre des gens, se mettre de grands espaces dans la tête, se sentir vivant, trouver un signe cool à faire avec sa casquette pour remercier les automobilistes, se préparer à une catastrophe nucléaire, une attaque de zombies?

Que des raisons valides mais qui ne sont en fait que de boiteuses excuses. Non, il ne sait pas du tout pourquoi il est là.

Fuir la routine ? Prendre du recul, de la hauteur ? Refléchir au sens de la vie? Se trouver ?

Il va surtout perdre son sens de l'humour si ça continue comme ça!

Une seule chose est sûre: il est là, sur la Route.

Peu importe le relief, la météo, les soucis mécaniques ou ces enfoirés de midges qu'Elle met sur son chemin... Il est là.

Alors, il avance.

Et faut avouer, la plupart du temps, ça vaut le détour.

dimanche 16 juillet 2017

4 minutes

4 minutes ! Floyd MacBryn a perdu 4 minutes. C'est dérisoire et pourtant, c'est essentiel, ça fait toute la différence.

Jusqu'à présent, le paysage était bien monotone avec tous ces petits cottages aux toits de chaume ou de pierre, ces haies proprettes et tous ces moutons saupoudrés sur les collines. C'était mignon comme tout mais ca manquait de caractère... Floyd aurait apprécié quelque chose de plus corsé, de plus fort. Il aurait voulu du maroilles ou au moins du roquefort, du blue stilton, du stinking bishop... Et on lui propose du gouda ! C'est sympa le gouda mais un peu fade.

Alors pour tromper l'ennui, Floyd s'est lancé un défi: parcourir les 10 prochains kilomètres à 20 km/h de moyenne.

Il était bien parti. Il survolait les petites routes encastrées de remparts végétaux. Il avait même atteint jusqu'à 2 minutes d'avance.

Puis, patatra! Sans crier gare, le paysage décide de se faire plus alléchant. Impossible de faire autrement, Floyd est obligé de s'arrêter pour prendre une photo. Il libère son portable de son guidon mais l'objectif est tout embué. Il l'essuie avec son maillot, c'est pire. Il tente avec ses doigts, quel naïf ! Finalement, il doit sortir le gant de toilette pour le nettoyer correctement. Et voilà 4 précieuses minutes de gaspillées...

Une fois la photo prise, il repart. Tout n'est peut-être pas perdu. Il fonce le long de ces petites routes encaissées mais avec la plus grande des vigilances car elles  réservent parfois quelques surprises. A chaque virage, il s'attend à voir débouler un mouton ou une voiture

Il dépasse rarement les 40km/h mais son estomac remonte dans sa poitrine à chaque descente à cause des brusques changements de dénivelé et de l'impression de vitesse renforcée par l'etroitesse des routes. Il se fait parfois peur.

Au moins, dans ces tranchées, pas de guerre! Les voitures patientent derrière ou se rangent pour laisser passer. Avec un petit signe amical en plus. Floyd ne se sent pas seulement respecté en tant que cycliste, il se sent considéré. Et les encouragements ne manquent pas. Du coup, il n'hésite pas à couper son élan pour permettre aux automobiles de le doubler.

Allez, si le relief en est d'accord, il peut encore relever son défi! Il a déjà repris 2' sur son retard. Mais celui-ci en avait décidé autrement et dans le dernier kilomètre, il déroule une traitresse montée. Floyd échoue pour quelques dizaines de malheureux mètres.

Mais au moins il n'a pas vu le temps passer ! C'est déjà ça de réussi.

C'est bien joli les défis à la noix mais ça creuse. Ça tombe bien, il arrive au niveau d'un café qui lui promet de merveilleux "treats". Ça l'intrigue. Une vieille dame joviale l'accueille d'un

"Shall I put the kettle on, then?"

"Yes, please! And what about those treats?"

Elle lui présente un assortiment de gâteaux maison. Floyd se laisse tenter par le banana, chocolate and walnut bread.

"Buttered?"

"Buttered!"

Il se sent bien accueilli ici. Pas comme lors de sa pause précédente au Cricket Club de Usk où les gens étaient aussi hermétiques que les règles de leur sport préféré.

"Vous allez passer par le Gospel Pass alors?" Lui demande la vieille dame.

Ah, c'est vrai, il l'avait oublié celui-là, le plus haut col routier du Pays de Galles qui culmine, attention, à un faramineux 549m... Mais il ne faut quand même pas le sous-estimer. Il est irrégulier et présente des rampes à 12%.

En reprenant sa route, il commence à regretter son petit défi de tout à l'heure...

Cependant, le paysage se fait plus majestueux et il oublie vite sa fatigue. Ce n'est pas de la grande montagne mais l'endroit se montre déjà plus sauvage.

La route, elle, se montre parfois plus docile et alors que les routes étroites et encaissées n'invitaient pas à l'introspection, ces espaces plus ouverts absorbent toute son attention. Plus besoin de se lancer de défi, il perd totalement la notion du temps.

La vallée raisonne des cris des milans. Un grand calme, que seuls le ruissellement des cours d'eau ou les bêlements des moutons viennent troubler, l'envahit.

Petit à petit la crasse qui encombraient ses synapses se détache en lambeaux qui s'écrasent mollement sur le bitume dans son sillage.

Il se laisse imprégner par la sérénité des collines imperturbables qui l'entourent comme lorsqu'un ami vous pose une main bienveillante sur l'épaule. Il ressent un bien être jusqu'au plus profond de lui-même, une sorte d'amour pour ce paysage, pour Ie monde, pour la vie.

Étrange pour un homme du Plat Pays de se sentir aussi à son aise dans les montagnes !

Mais les amis, ça fait des sales coups aussi ! Perdu dans ses pensées, Floyd se retrouve soudainement face à un mur, dernier rampart avant d'atteindre le sommet du Gospel Pass.

Après quelques efforts, il en vient à bout. Ce n'est pas le plus grandiose ou le plus difficile des cols qu'il ait gravi. Mais il se défend pas mal. Les nuages sont bas à l'horizon, si bas qu'on dirait qu'ils ont trop écouté Jacques Brel.

Mais la vue est splendide. À ses pieds, tout le Pays de Galles s'étale, comme une promesse de belles aventures à venir.

vendredi 14 juillet 2017

Going loco!

Avon Valley - 14 juillet 2017

Depuis quelques kilomètres, Floyd MacMycrap croise des trains et des trains de cyclistes. Rien d'étonnant puisqu'il suit une ancienne voie ferrée transformée en voie cyclable. Mais il en vient quand même à se demander si le 14 juillet ne serait pas férié aussi en Angleterre.

Bientôt, il se trouve une locomotive et leur petit train roule à un bon rythme.

Il efface littéralement les collines puisque cette voie passe par deux tunnels à  l'éclairage minimaliste et où de la musique classique, dont les frottements de l'archet sur les violoncelles évoquent celui d'un train sur les rails, semble émaner de la roche même.

Malheureusement, son train a atteint son terminus, l'ancienne gare de Bitton où des passionnés font revivre d'antiques machines sur quelques kilomètres de voie. Il décroche son wagon et continue son petit bonhomme de chemin.

Décidément, cette voie verte est bien agréable. Bien calé sur ses rails, il décide de la poursuivre plutôt que de suivre l'itinéraire qu'il avait prévu. Même s'il se rajoute une demi-douzaine de kilomètres, il se sens bien sur ce chemin tout plat à l'écart des voitures.

En moins de deux il passe Bath puis il accroche une nouvelle locomotive et fond sur Bristol à un train d'enfer, cette motrice se rapprochant plus du TGV que du TER. Son pilote devait être pressé de rentrer du boulot pour regarder la demi-finale de Wimbledon.

D'ailleurs la ville a installé un écran géant et des transats pour que les badauds puissent regarder le match au soleil.

Quelle façon délicieusement British de finir la journée !

jeudi 13 juillet 2017

Mouvement de grève

Lille - Le Havre / 11-12 juillet 2017

Tout le corps est en révolte. Ça grince, ça gronde de partout. C'est les genoux qui ont commencé à protester les premiers. Puis c'est tous les membres qui se sont enflammés. Les jambes, évidemment mais elles râlent depuis le km 15 alors ça ne compte pas. Les épaules, le cou, les bras... Petit à petit, tous suivent le mouvement et menacent de faire grève. C'est vrai quoi! Nous autres, on en a marre, on n'arrête pas. 150 km hier et aujourd'hui on s'est mis en route à 5h. On en est déjà à 70 km alors qu'il n'est même pas encore 10h. On pourrait claquer à tout moment que le patron n'en aurait rien à faire. Trop c'est trop!

Mais le patron n'a pas la tête aux négociations.

"Vous allez arrêter de gémir, bande de feignasses" qu'il nous fait. "Certes, il pleut depuis 5h du matin  et on subit le vent de face depuis hier. Et alors? On a un objectif à atteindre ! Alors vous allez fermer votre gueule et vous allez me doubler la cadence pour la peine!!! Non mais."

Il veut rien lâcher, le patron. Il est en route pour le Royaume-Unis. Il a 2 jours et 300 km à parcourir pour rejoindre Le Havre et prendre un ferry. Et qui c'est qui doit se farcir tout ça. Ben, c'est nous autres. On n'est pas des forçats tout de même !

Le patron essaie de maintenir une bonne vitesse pour pas louper son satané ferry.  Pas question de rechigner à la tâche qu'il nous dit. Alors dès qu'on le peut, on donne tout pour pas descendre en dessous des 15 de moyenne mais dès que ça monte un peu, la fatigue nous scotche au bitume. "Allez, appuyez, tas de tire aux flancs!". On a mal de partout. Et au fur et à mesure que la route plisse devant nos yeux, les kilomètres s'etirent à n'en plus finir. Ils s'égrainent au rythme indolent des éoliennes. C'est pas une vie!

Encore, hier ça allait. Les nuages étaient ténébreux mais n'avaient pas tout à fait sombré dans la dépression. Aujourd'hui, ils ont complètement craqué. Et même le vent était tombé à un moment. Le problème c'est qu'il avait entraîné un peu de pluie dans sa chute. Mais rien de grave, l'hémorragie a été vite stoppée.

Au bout d'un moment, le patron nous accorde une pause syndicale. Un café, un jus d'orange, un pain au chocolat, une banane, une barre de céréales, allez, il n'est pas chien quand même.

Quelques étirements plus tard, même si on est tout fourbu, c'est reparti à un train d'enfer. Faut dire que cette prime nous a radouci aussi. Et quand on apprend qu'on n'est plus qu'à une dizaines de kilomètres d'Etretat, c'est l'euphorie générale. Le patron promet même une moule frite en bonus si on arrive avant 12h30. L'estomac et les papilles nous exhortent à tout donner. Le vent et le soleil se sont ralliés à notre cause aussi.

Et bientôt, Le Havre. Il va l'avoir son ferry finalement, l'patron! Et demain, il l'a promis : pas plus de 95 bornes.

mardi 30 mai 2017

L'onsen sous la mer


Baignoire, encore un peu vaseux après la soirée d'hier, a embarqué sur un ferry en direction de Yakushima avec l'idée de profiter des 4h de voyage pour récupérer un peu. Mais Taka en avait décidé autrement. Ce motard d'Hiroshima lui a sauté dessus dès qu'il l'a vue afin de tromper l'ennui de la traversée en bavardant. Malgré lui, Baignoire se voit embarqué dans une discussion passionnante sur  leur destination. Taka en est tombé follement amoureux et y revient plusieurs fois par an.

Yakushima est un petit rocher paradisiaque culminant à 1935m (tout de même!) perdu au milieu de l'océan, tout au bout du bout de l'archipel nippon. La plupart des gens vient à Yakushima pour randonner dans sa magnifique forêt de cèdres millénaires dont Miyasaki se serait inspiré pour planter le décor de Princesse Mononoké


Il s'agit d'une forêt primaire luxuriante et exubérante où les arbres poussent les uns sur les autres. Leurs racines tortueuses et envahissantes se faufilent partout et enlacent le moindre rocher. 


De quoi se laisser ensorceler ! Mais Baignoire en a déjà assez avec sa gueule de bois, il n'est pas venu ici pour admirer des arbres. Il a un but bien précis. Il en rêve depuis des années.



Une fois débarqué, Baignoire met le cap au nord. Il déniche de belles plages où les tortues caouannes viennent pondre au printemps. L'eau y est merveilleusement chaude et il passe un petit moment à barboter dans les vagues tandis que les fumerolles d'un volcan s'élèvent à l'horizon.


Difficile de ne pas rester ici plus longtemps mais Baignoire sait que d'autres merveilles l'attendent un peu plus loin alors il reprend la route qui serpente dans la forêt. Il croise de nombreuses biches sika et d'innombrables singes. La route est parfaite pour prendre son temps et admirer le paysage: elle est ombragée et émaillée de cascades rafraîchissantes. 


Il met 3 heures pour parcourir une vingtaine de kilomètres.


Sans se presser, tout doucement, comme s'il voulait faire durer le plaisir, il s'approche de sa destination tout au sud de l'île. On dirait presque qu'il ne veut pas l'atteindre... Peut-être a-t-il peur d'être déçu ou sans doute veut-il savourer au maximum ce moment particulier. Certainement un peu des deux. Il y arrive vers 6h du soir alors que le soleil commence à décliner et que la mer commence à peine à se retirer. Presque sans le faire exprès, il y arrive au meilleur moment, lorsque l'océan dévoile peu à peu le trésor qu'il cache ici: 平内温泉. C'est à dire Hirauchi Onsen ou plutôt une source d'eau chaude sous la mer. On ne peut y accéder qu'à marée basse !


Baignoire s'avance d'abord d'un pas circonspect mais cet onsen si particulier n'est pas bien différent de tous ceux qu'il a déjà fréquenté. L'équipement y est sommaire. Un tronc où glisser une pièce de 100 yens pour participer à l'entretien, quelques bassines pour se rincer, des trous creusés à même la roche pour servir de bain et c'est tout.

Un grand-père et sa petite fille ont déjà pris possession des lieux et accueillent le nouveau venu avec bienveillance. Après s'être lavé, Baignoire se glisse nu comme un ver, c'est la règle, dans un des trois bains disponibles. Celui-ci est plutôt froid car l'eau de mer y est encore fortement présente, renouvelée à chaque fois que d'inlassables vagues viennent s'y engouffrer. Mais des courants d'eau chaude glissent le long de son dos et lui caressent les reins. C'est agréable à en frissonner.


Au fur et à mesure que le soleil descend et que la mer se retire, son bain devient de plus en plus chaud. Les étoiles commencent à apparaître et, enveloppé dans sa douillette couette liquide, Baignoire se laisse peu à peu aller à la rêverie que vient interrompre de temps en temps une vague plus forte et facétieuse que les autres, qui éclabousse les baigneurs et qui refroidit à nouveau le bassin. Ce espièglerie amuse beaucoup la petite fille qui éclabousse à son tour les rochers de son rire cristallin. Naturellement, elle considère Baignoire comme son compagnon de jeu et fait mine de l'arroser avec sa bassine tandis que le vieux monsieur lui montre comment bien profiter de cet onsen très particulier en écopant l'eau de mer du bassin pour qu'elle se réchauffe plus vite.


Bientôt d'autres personnes, les rejoignent et emplissent peu à peu les différents bains creusés dans la roche. Cet onsen est un des rares qui soient mixtes et quelques femmes s'y aventurent. Contrairement aux hommes, elles ont le droit de garder une serviette autour de leur corps, même dans l'eau.

Les humains ne sont pas les seuls à profiter de l'endroit. Des grappes de petits poissons tout gluants bondissent et frétillent de rocher en rocher ou se laissent emporter par les vagues pour revenir se trémousser de plus belle. Ils semblent tout droit sortis d'un film d'extra-terrestres. Baignoire n'arrive pas à les prendre en photo. Ils s'éparpillent et disparaissent dès qu'il fait mine de s'avancer vers eux.


Il apprendra plus tard qu'il s'agit de gobies, des petits poissons affublés d'une ventouse ventrale. Mais pour le moment, tandis qu'il admire les étoiles, il pense plutôt qu'il est sur une autre planète. Entouré par ces bizarroïdes bestioles et bercé par le murmure de paroles qu'il ne comprend pas, il s'est laissé emporté loin, très loin, dans un autre monde.

dimanche 12 mars 2017

[Zythocyclade 12/12 - Kobokobo] Chevalier du zythodiaque

22 juillet 2016

Cela fait déjà un an que Saint S'eigar parcourt les sanctuaires de la bière avec ses compagnons. Après avoir effectué 11 zythocyclades en 11 mois, il ne lui en manque plus qu'une pour boucler le cycle. Aucun de ses compères n'a pu le suivre jusqu'au Japon et c'est seul qu'il lui faudra atteindre l'ultime temple, de l'autre côté de la Terre.

Heureusement pour lui, le Japon vit le même renouveau de la bière que partout ailleurs dans le monde. Les microbrasseries s'y multiplient comme levure de bière à bonne température surtout depuis que les fabriques de saké ont le droit de brasser de la bière. Ce qui est logique puisque le saké est également obtenu par brassage et fermentation. Seules différences, le saké ne contient ni  houblon ni malt. Il est produit à partir de riz cuit à la vapeur et ensemencé par une levure spéciale, moitié-moisissure moitié-champignon, appelée koji. C'est elle qui va se charger de casser les amidons afin de créer des sucres plus simples que les autres levures pourront consommer et transformer en alcool.

 
Musée du sake de Kyoto
Pour achever le cycle des douze sanctuaires dans le temps imparti par la tradition millénaire depuis au moins 2015, Saint S'eigar se doit de trouver le temple suprême avant la fin du mois. Ce ne devrait pas être trop difficile car les microbrasseries sont presque aussi nombreuses au Japon que les constellations dans le ciel. Il en repère quelques unes qui se trouvent plus ou moins sur son chemin.


Mais le long fleuve qui devait le mener à la bière n'était pas si tranquille que ça. Tous les sites brassicoles qu'il consulte au préalable pour se renseigner sont en japonais. Les traductions sibyllines des automates lui apportent bien peu de renseignements. Elles lui donnent juste l'impression que les visites de brasserie ne font pas vraiment partie des tradition nippones. 

Dégustation
Avant de partir, il va donc trouver un vénérable maître en japonais pour l'aider à écrire une missive aux brasseurs. Il leur explique sa mission afin de s'assurer de ne pas trouver porte close. En vain car il n'obtient pas de réponse.



Il ne s'avoue pas vaincu pour autant et cible 3 ou 4 temples sur sa route. Son biru henro peut commencer ! Mais les embûches se bousculent pour se dresser en travers de son chemin. A commencer par son pire ennemi: lui-même !


A force d'observer des singes qui se baignent dans un parc naturel de Yamanouchi, Saint S'eigar perd son objectif de vue. Il se prélasse dans des onsens immémoriaux et erre sans but dans la ville. 


 A 16h50, il se rappelle subitement qu'il pourrait visiter la brasserie Tamamura Honten qui se trouve juste de l'autre côté de la rivière.


Elle ferme à 17h30, c'est jouable, mais il ne faut pas traîner. Il enfourche sa bécane, se faufile entre les flâneurs dans le dédale de petites rues, fonce sur une passerelle pour traverser la rivière et gravit une côte sévère à toute vitesse. 


Cinq minutes à peine plus tard, il arrive tout essoufflé au teppa room, lieu de dégustation de la brasserie, pour se rendre compte qu'il n'avait aucune chance d'y entrer. Celui-ci ferme ses portes à 17h00.


Le lieu est d'ailleurs désert et le tenancier est en train de fermer boutique, certainement heureux de pouvoir rentrer chez lui plus tôt. Saint S'eigar n'a pas l'intention de le laisser profiter de cette bonne aubaine aussi facilement. Il le hèle pour tenter de le rallier à sa cause. Sans succès. Le gaillard reste aussi hermétique que sa brasserie. Derrière lui, de larges baies vitrées offrent les charmes de ce temple interdit à la concupiscence du badaud, à la fois proches et inaccessibles. Il lui indique tout de même un endroit où l'on peut déguster quelques échantillons de leur production.


Encore sous le choc et tout en méditant devant une Shiga Kogen, Saint S'eigar est tenté de considérer ce demi-fiasco comme une réussite totale et d'en rester là. Mais il reprend très vite ses esprits. Ce ne serait qu'une "mythocyclade". Impossible d'achever une quête de manière aussi pitoyable. 

Il poursuit donc l'aventure et arrive à Matsumoto. Saint S'eigar traîne dans les ruelles de la vieille ville, déguste de la glace au thé vert car il fait bien trop chaud, admire le noir château des samouraïs à l'ombre des cerisiers car décidément il fait vraiment trop chaud... Et oublie complètement ce qu'il était venu faire là. Ce n'est que quelques jours plus tard, qu'il se rappellera qu'il aurait pu y dénicher une brasserie. 

L'un des 12 châteaux authentiques du Japon
Qu'à cela ne tienne. Il compte maintenant sur la brasserie de Takayama pour mener enfin sa quête au but. Il ne lui reste plus qu'une dizaine de jours pour accomplir sa mission. Encore faut-il qu'il ne se laisse pas envoûter par le pittoresque village de montagne d'Hida ou qu'il ne s'égare du chemin qui doit l'emmener à ce dernier sanctuaire. Et combien même, il sait déjà que la brasserie ne se visite pas. On peut juste l'admirer derrière une vitre. Il se demande si deux demi-zythos en valent une.

Entre temps, il reçoit enfin une réponse de Tetsuya Matsumoto, un brasseur de Gujo-Hachiman. Il lui annonce qu'il est possible de venir le rencontrer. Saint S'eigar laisse tomber la brasserie de Takayama. Après une rude journée de vélo, il préfère se perdre dans les onsens pour y dissoudre la douleur de ses muscles raidis par la belle mais éprouvante montagne.

Onsen mieux !
Son amour de l'eau volcanique aura-t-elle raison de sa soif d'autres liquide? Non, car quelques jours plus tard, il arrive enfin à Gujo. S'eigar sillonne la ville de long en large pour trouver la brasserie que cachait une sobre façade de bois. 

Brasserie kobokobo
Derrière celle-ci, il découvre un agréable jardin japonais. Les deux ou trois tables qu'il abrite invitent le visiteur à s'installer et se reposer à l'ombre en appréciant quelques bières. Il ne peut imaginer plus bel et extraordinaire écrin pour une brasserie.

Celle-ci est toute petite. On ne peut même pas y entrer. Depuis une fenêtre, le brasseur tend les verres que les clients commandent. Saint S'eigar s’enhardit à demander quelques conseils et explications mais la communication est difficile car le maître-brasseur n'a que quelques rudiments d'anglais. Les deux zythophiles semblent tous deux déconcertés par la situation. 

Les reproductions en résine...
La vraie !
Saint S'eigar sort alors de sa sacoche son attaque la plus puissante : une bouteille de 75cl de Moulins d'Ascq qu'il offre au brasseur.

L'incompréhension ne peut que s'incliner devant une telle intensité ! Tetsuya soulève une trappe et tous deux se retrouvent aussitôt au sous-sol de la plus petite brasserie que Saint S'eigar n'ait jamais vue. Tout l'espace est optimisé à la japonaise, un vrai tétris en 3D où tous les éléments qui servent à élaborer la bière s'imbriquent dans 15 mètres cubes. S'il a bien compris les explications de Tetsuya, il se passe même de cuve de fermentation. Il mets ses bières directement dans des fûts étroits et cylindriques pour économiser de la place.

Tétris brassicole !
Autrefois ingénieur, ce passionné a tout laissé tomber pour ouvrir son établissement et vivre de sa production.


Après cette visite, Saint S'eigar achète quelques bouteilles. Et Tetsuya ajoute quelques sachets d'edamame, l'équivalent nippon des cacahuètes qui accompagnent tout apéro digne de ce nom.

Tetsuya Matsumoto
Quelques jours plus tard, elles seront bues avec ses fantastiques hôtes de Kyoto à qui il est venu rendre visite afin de clore définitivement et en apothéose la saga des douze zythocyclades.

Tetsuya rajoute à la main le nom de chaque bière sur l'étiquette

... Avant la prochaine !

(Avertissement: une contrepèterie s'est glissée dans ce texte)