Le vélo qui fait voyager

vendredi 21 juillet 2017

Le voyage intérieur

"Putaaaaain!"

On ne va pas s'approcher trop près, Floyd a l'air agacé.

Il est vrai que replier le barda sous la pluie  ce matin, c'était déjà pas très marrant. Et avec les midges qui tentaient de lui dévorer la face, ça l'était encore moins. Mais comme la pluie et les midges, ça ne suffisait pas, son pneu n'a rien trouvé de mieux que de chopper une crevaison quelques kilomètres après le départ. Sous la pluie et avec les midges et nulle part où s'abriter dans cette lande désolée.

Et comme la pluie, les midges et une crevaison, ce n'était toujours pas suffisant, la valve de chambre à air en a profité pour se démonter au moment de retirer la pompe après avoir gonflé le pneu à bloc. Tout l'air s'est échappé d'un coup. Floyd jusqu'alors resté zen a laissé échapper un juron. Il n'y a plus qu'à tout recommencer. Sous les trombes d'eau et les nuées de midges.

Il y a des jours comme ça où tout part en cacahouète. Pour l'instant Floyd éclate de rire. Il n'y a pas grand chose d'autre à faire. Mais le doute s'installe.

Heureusement, il n'a que 24 km à parcourir aujourd'hui. Lui qui pensait s'ennuyer... La certainement très passionnante visite du plus grand musée de l'ardoise d'Europe ne sera pas pour lui finalement.

Les lunettes de soleil vissées sur la casquette comme un pied de nez à l'incontinence des nuages, il repart et commence l'assencion du col de Llanbéris. Au moins, lui se montre bienveillant.

Avec la pluie, la montagne s'est parée de dizaines de cascades. La route  s'est faite rivière. Floyd pense que le paysage est joli mais il n'est pas vraiment sûr. Il ne le voit pas très bien derrière l'epais rideau de pluie qui le cache.

Dans la descente, un bus lui bloque le peu de vue qu'il lui reste. Un bout de ligne droite se  profile, il le double dans des gerbes d'eau. C'est excitant mais ça mouille !

Une fois arrivé et la tente montée, Floyd se blottit sous la couette, complètement transi. La pluie veut s'y inviter elle aussi et tambourine sur la toile de tente comme une malade.

"Mais qu'est-ce que je suis venu foutre ici?" se demande-t-il.

Bonne question.

Depuis  que sa manette de dérailleur avant s'est bloquée, il n'est plus vraiment maître de son destin. La Route fait sa loi.

Il doit se taper les montées à 14% sur le  plateau du milieu. Ça l'épuise. Il doit totalement revoir sa façon de rouler. Il s'économise.

Et quand la Route a décidé que la limite était atteinte, il faut lui obéir.

Alors il apprend l'humilité. Il courbe l'échine devant la moindre petite côte comme s'il se prosternait devant la plus grande des déesses. L'insolent qu'il était a fini de croire qu'il pourrait survoler les cols, il ne se lance plus à corps perdu dans les descentes pour tenter de battre de vains records de vitesse (75,85 km/h pour l'instant soit dit en passant). Il en profite pour retrouver un semblant d'énergie. Et réfléchir.

"Mais pourquoi je fais ça ?"

Voyager le plus écologiquement possible, repousser ses limites, voir ses amis, aller à la rencontre des gens, se mettre de grands espaces dans la tête, se sentir vivant, trouver un signe cool à faire avec sa casquette pour remercier les automobilistes, se préparer à une catastrophe nucléaire, une attaque de zombies?

Que des raisons valides mais qui ne sont en fait que de boiteuses excuses. Non, il ne sait pas du tout pourquoi il est là.

Fuir la routine ? Prendre du recul, de la hauteur ? Refléchir au sens de la vie? Se trouver ?

Il va surtout perdre son sens de l'humour si ça continue comme ça!

Une seule chose est sûre: il est là, sur la Route.

Peu importe le relief, la météo, les soucis mécaniques ou ces enfoirés de midges qu'Elle met sur son chemin... Il est là.

Alors, il avance.

Et faut avouer, la plupart du temps, ça vaut le détour.

dimanche 16 juillet 2017

4 minutes

4 minutes ! Floyd MacBryn a perdu 4 minutes. C'est dérisoire et pourtant, c'est essentiel, ça fait toute la différence.

Jusqu'à présent, le paysage était bien monotone avec tous ces petits cottages aux toits de chaume ou de pierre, ces haies proprettes et tous ces moutons saupoudrés sur les collines. C'était mignon comme tout mais ca manquait de caractère... Floyd aurait apprécié quelque chose de plus corsé, de plus fort. Il aurait voulu du maroilles ou au moins du roquefort, du blue stilton, du stinking bishop... Et on lui propose du gouda ! C'est sympa le gouda mais un peu fade.

Alors pour tromper l'ennui, Floyd s'est lancé un défi: parcourir les 10 prochains kilomètres à 20 km/h de moyenne.

Il était bien parti. Il survolait les petites routes encastrées de remparts végétaux. Il avait même atteint jusqu'à 2 minutes d'avance.

Puis, patatra! Sans crier gare, le paysage décide de se faire plus alléchant. Impossible de faire autrement, Floyd est obligé de s'arrêter pour prendre une photo. Il libère son portable de son guidon mais l'objectif est tout embué. Il l'essuie avec son maillot, c'est pire. Il tente avec ses doigts, quel naïf ! Finalement, il doit sortir le gant de toilette pour le nettoyer correctement. Et voilà 4 précieuses minutes de gaspillées...

Une fois la photo prise, il repart. Tout n'est peut-être pas perdu. Il fonce le long de ces petites routes encaissées mais avec la plus grande des vigilances car elles  réservent parfois quelques surprises. A chaque virage, il s'attend à voir débouler un mouton ou une voiture

Il dépasse rarement les 40km/h mais son estomac remonte dans sa poitrine à chaque descente à cause des brusques changements de dénivelé et de l'impression de vitesse renforcée par l'etroitesse des routes. Il se fait parfois peur.

Au moins, dans ces tranchées, pas de guerre! Les voitures patientent derrière ou se rangent pour laisser passer. Avec un petit signe amical en plus. Floyd ne se sent pas seulement respecté en tant que cycliste, il se sent considéré. Et les encouragements ne manquent pas. Du coup, il n'hésite pas à couper son élan pour permettre aux automobiles de le doubler.

Allez, si le relief en est d'accord, il peut encore relever son défi! Il a déjà repris 2' sur son retard. Mais celui-ci en avait décidé autrement et dans le dernier kilomètre, il déroule une traitresse montée. Floyd échoue pour quelques dizaines de malheureux mètres.

Mais au moins il n'a pas vu le temps passer ! C'est déjà ça de réussi.

C'est bien joli les défis à la noix mais ça creuse. Ça tombe bien, il arrive au niveau d'un café qui lui promet de merveilleux "treats". Ça l'intrigue. Une vieille dame joviale l'accueille d'un

"Shall I put the kettle on, then?"

"Yes, please! And what about those treats?"

Elle lui présente un assortiment de gâteaux maison. Floyd se laisse tenter par le banana, chocolate and walnut bread.

"Buttered?"

"Buttered!"

Il se sent bien accueilli ici. Pas comme lors de sa pause précédente au Cricket Club de Usk où les gens étaient aussi hermétiques que les règles de leur sport préféré.

"Vous allez passer par le Gospel Pass alors?" Lui demande la vieille dame.

Ah, c'est vrai, il l'avait oublié celui-là, le plus haut col routier du Pays de Galles qui culmine, attention, à un faramineux 549m... Mais il ne faut quand même pas le sous-estimer. Il est irrégulier et présente des rampes à 12%.

En reprenant sa route, il commence à regretter son petit défi de tout à l'heure...

Cependant, le paysage se fait plus majestueux et il oublie vite sa fatigue. Ce n'est pas de la grande montagne mais l'endroit se montre déjà plus sauvage.

La route, elle, se montre parfois plus docile et alors que les routes étroites et encaissées n'invitaient pas à l'introspection, ces espaces plus ouverts absorbent toute son attention. Plus besoin de se lancer de défi, il perd totalement la notion du temps.

La vallée raisonne des cris des milans. Un grand calme, que seuls le ruissellement des cours d'eau ou les bêlements des moutons viennent troubler, l'envahit.

Petit à petit la crasse qui encombraient ses synapses se détache en lambeaux qui s'écrasent mollement sur le bitume dans son sillage.

Il se laisse imprégner par la sérénité des collines imperturbables qui l'entourent comme lorsqu'un ami vous pose une main bienveillante sur l'épaule. Il ressent un bien être jusqu'au plus profond de lui-même, une sorte d'amour pour ce paysage, pour Ie monde, pour la vie.

Étrange pour un homme du Plat Pays de se sentir aussi à son aise dans les montagnes !

Mais les amis, ça fait des sales coups aussi ! Perdu dans ses pensées, Floyd se retrouve soudainement face à un mur, dernier rampart avant d'atteindre le sommet du Gospel Pass.

Après quelques efforts, il en vient à bout. Ce n'est pas le plus grandiose ou le plus difficile des cols qu'il ait gravi. Mais il se défend pas mal. Les nuages sont bas à l'horizon, si bas qu'on dirait qu'ils ont trop écouté Jacques Brel.

Mais la vue est splendide. À ses pieds, tout le Pays de Galles s'étale, comme une promesse de belles aventures à venir.

vendredi 14 juillet 2017

Going loco!

Avon Valley - 14 juillet 2017

Depuis quelques kilomètres, Floyd MacMycrap croise des trains et des trains de cyclistes. Rien d'étonnant puisqu'il suit une ancienne voie ferrée transformée en voie cyclable. Mais il en vient quand même à se demander si le 14 juillet ne serait pas férié aussi en Angleterre.

Bientôt, il se trouve une locomotive et leur petit train roule à un bon rythme.

Il efface littéralement les collines puisque cette voie passe par deux tunnels à  l'éclairage minimaliste et où de la musique classique, dont les frottements de l'archet sur les violoncelles évoquent celui d'un train sur les rails, semble émaner de la roche même.

Malheureusement, son train a atteint son terminus, l'ancienne gare de Bitton où des passionnés font revivre d'antiques machines sur quelques kilomètres de voie. Il décroche son wagon et continue son petit bonhomme de chemin.

Décidément, cette voie verte est bien agréable. Bien calé sur ses rails, il décide de la poursuivre plutôt que de suivre l'itinéraire qu'il avait prévu. Même s'il se rajoute une demi-douzaine de kilomètres, il se sens bien sur ce chemin tout plat à l'écart des voitures.

En moins de deux il passe Bath puis il accroche une nouvelle locomotive et fond sur Bristol à un train d'enfer, cette motrice se rapprochant plus du TGV que du TER. Son pilote devait être pressé de rentrer du boulot pour regarder la demi-finale de Wimbledon.

D'ailleurs la ville a installé un écran géant et des transats pour que les badauds puissent regarder le match au soleil.

Quelle façon délicieusement British de finir la journée !

jeudi 13 juillet 2017

Mouvement de grève

Lille - Le Havre / 11-12 juillet 2017

Tout le corps est en révolte. Ça grince, ça gronde de partout. C'est les genoux qui ont commencé à protester les premiers. Puis c'est tous les membres qui se sont enflammés. Les jambes, évidemment mais elles râlent depuis le km 15 alors ça ne compte pas. Les épaules, le cou, les bras... Petit à petit, tous suivent le mouvement et menacent de faire grève. C'est vrai quoi! Nous autres, on en a marre, on n'arrête pas. 150 km hier et aujourd'hui on s'est mis en route à 5h. On en est déjà à 70 km alors qu'il n'est même pas encore 10h. On pourrait claquer à tout moment que le patron n'en aurait rien à faire. Trop c'est trop!

Mais le patron n'a pas la tête aux négociations.

"Vous allez arrêter de gémir, bande de feignasses" qu'il nous fait. "Certes, il pleut depuis 5h du matin  et on subit le vent de face depuis hier. Et alors? On a un objectif à atteindre ! Alors vous allez fermer votre gueule et vous allez me doubler la cadence pour la peine!!! Non mais."

Il veut rien lâcher, le patron. Il est en route pour le Royaume-Unis. Il a 2 jours et 300 km à parcourir pour rejoindre Le Havre et prendre un ferry. Et qui c'est qui doit se farcir tout ça. Ben, c'est nous autres. On n'est pas des forçats tout de même !

Le patron essaie de maintenir une bonne vitesse pour pas louper son satané ferry.  Pas question de rechigner à la tâche qu'il nous dit. Alors dès qu'on le peut, on donne tout pour pas descendre en dessous des 15 de moyenne mais dès que ça monte un peu, la fatigue nous scotche au bitume. "Allez, appuyez, tas de tire aux flancs!". On a mal de partout. Et au fur et à mesure que la route plisse devant nos yeux, les kilomètres s'etirent à n'en plus finir. Ils s'égrainent au rythme indolent des éoliennes. C'est pas une vie!

Encore, hier ça allait. Les nuages étaient ténébreux mais n'avaient pas tout à fait sombré dans la dépression. Aujourd'hui, ils ont complètement craqué. Et même le vent était tombé à un moment. Le problème c'est qu'il avait entraîné un peu de pluie dans sa chute. Mais rien de grave, l'hémorragie a été vite stoppée.

Au bout d'un moment, le patron nous accorde une pause syndicale. Un café, un jus d'orange, un pain au chocolat, une banane, une barre de céréales, allez, il n'est pas chien quand même.

Quelques étirements plus tard, même si on est tout fourbu, c'est reparti à un train d'enfer. Faut dire que cette prime nous a radouci aussi. Et quand on apprend qu'on n'est plus qu'à une dizaines de kilomètres d'Etretat, c'est l'euphorie générale. Le patron promet même une moule frite en bonus si on arrive avant 12h30. L'estomac et les papilles nous exhortent à tout donner. Le vent et le soleil se sont ralliés à notre cause aussi.

Et bientôt, Le Havre. Il va l'avoir son ferry finalement, l'patron! Et demain, il l'a promis : pas plus de 95 bornes.