Le vélo qui fait voyager

lundi 14 août 2017

Roule ou crève

Cette fois-ci, ça devrait tenir... 

C'est au moins la dixième crevaison. Il a arrêté de compter depuis longtemps. Tout a commencé dès le 2e jour par une petite entaille dans le pneu. Elle s'est progressivement agrandie jusqu'à laisser passer un bout de chambre à air que le bitume se faisait un malin plaisir à scalper de plus en plus souvent, le junkie!

Floyd ne s'en est pas rendu compte tout de suite, croyant jouer de malchance. Puis il a essayé de colmater la brèche en collant une rustine directement dans le pneu. Ça a tenu quelques jours...
Cette fois ci, c'est carrément 4 rustines qu'il a mis en tout. Dedans dessus. C'est un peu la tentative de la dernière chance. Son tube de colle gît sur le sol, rachitique comme un Jesus sur son crucifix, il a tout donné. Il espère juste que la réparation tienne jusqu'au prochain magasin de vélo pour se racheter un pneu. Il n'a plus d'autre solution.

Quelques kilomètres à peine plus loin, entre Fort Augustus et Drumnadrochit, alors qu'il longe le Loch Ness, il entend le bruit caractéristique tant redouté et ô combien familier, il sent l'air lui caresser les mollets à chaque tour de roue.

Son pneu vient de rendre l'âme.

Il essaie encore un dernier truc pour pouvoir continuer a rouler : la technique de la chambre à herbe. Il bourre le pneu d'herbe pour pouvoir continuer à rouler sans abimer la jante. La technique du docteur Frankenstein ne marche pas du tout ou plutôt si justement, il est condamné à marcher.

Il se trouve à 15 km du village le plus proche. Il n'est même pas sûr d'y trouver un magasin de vélo*. Cela représente environ 3h de marche. Il devrait arriver vers 20h30. Il plantera la tente et il avisera demain.

Enfin s'il y arrive. Il est du mauvais côté du lac. Alors qu'en face, la route est méconnue et fort pittoresque,  ici, elle est sinueuse et fort fréquentée. C'est la route directe d'Inverness pour les touristes et les gens qui rentrent du boulot; tous pressés. Il n'y a pas de place pour les piétons.
Floyd peut vérifier par lui-même ce que lui a dit Sir Givalot: ici, les automobilistes sont adorables et se font des politesses entre eux. Mais avec les piétons, ils sont exécrables, aucun respect. À vélo, Floyd doit être considéré comme un vehicule car il n'a pas eu souvent à se plaindre du comportement des automobilistes, bien au contraire. Mais depuis qu'il est à pied, c'est une autre histoire. Là où on lui aurait laissé de la marge, il se fait frôler. Une mini a même failli lui emporter le bras avec son rétro.
Mais il n'a pas d'autre solution. Il n'y a pas d'accotement, il n'y a pas de place pour arrêter un véhicule, et ça roule vite...

Alors il marche. Il essaie de voir le bon côté des choses. Déjà, il ne pleut pas. Puis il se repasse le film de la journée. 

C'était pas mal du tout. Il a croisé des dizaines de biches, passé le temps dans un café pour éviter la pluie, longé des lacs, suivi des petites routes perdues dans la montagne toute rose de bruyère en fleur, s'est arrêté pour admirer les 1000 paysages que sculptaient les nuages, lu un poème de Robert Burns en contemplant la cascade qu'il y décrivait, bu une bière en écoutant la musique d'un joueur de cornemuse...

Oui, c'était plutôt une chouette journée... 

Jusqu'à maintenant. 

Il est perdu dans ses pensées, à gonfler des  framboises et à essayer de rester positif mais surtout gonfler des framboises quand même. Il n'a pas marché 2 kilomètres lorsqu'un R'ange Rover argenté se gare à sa hauteur.

- Do you need a repair kit?
- What ?
- Do you need a repair kit, you have a puncture.
- Yes, but what I need is a new tyre, it's totally worn out.
- What tyre do you need? 26 or 28?
- 28
- Yeah, I think I have one. Wait...

Floyd ne se rend pas bien compte de ce qui est en train de se passer.

Et, tel l'archange Raphaël, un homme aux cheveux d'argent descend de son véhicule dans une aura de lumière pendant que sa famille patiente a l'intérieur. 

Il ne s'agit en fait que de Matéo, un simple Italien qui aime bien le vélo également et qui s'est dit que, s'il était dans la même galère, il aimerait bien que quelqu'un s'arrête pour lui aussi.

C'est déjà un miracle de tomber sur quelqu'un qui se balade avec des pneus de rechange en 28 pouces, il faut en plus que celui-ci soit adapté à sa jante. Floyd ne veut pas s'emballer trop vite.

Après avoir fouillé rapidement dans son coffre, Matéo sort le graal du pneu de baroudeur : un schwalbe marathon mondial en 700x35c. Exactement ce qu'il lui faut. Floyd ne l'aurait certainement jamais trouvé en magasin ici.

Il n'en revient pas. Matteo reste pour l'aider à monter le pneu. Ils discutent un peu. Matéo va jusqu'à Fort Augustus. Mais c'est dans l'autre sens, s'étonne Floyd. Oui, il allait dans la direction opposée mais quand il l'a vu avec son pneu en vrac, il a fait demi-tour.

Décidément, il y a des humains formidables. Le pire, c'est qu'il allait repartir comme ça. Mais Floyd sait que ce genre de pneu coûte assez cher alors il lui demande son adresse pour lui envoyer un virement**. 

Il mettra certainement un peu plus pour qu'ils boivent un coup à sa santé. Car en lui sauvant la vie au sens figuré, sur cette route, Matteo lui a peut-être même sauvé la vie au sens propre.

* Il n'y en avait pas.
** Contacté par mail, Matteo a refusé quelconque argent.

lundi 7 août 2017

That's the spirit!

Floyd roule et roule à travers la montagne, une espèce d'épée de Damoclès en forme de nuage au dessus de la tête. Il sait que le beau temps ne durera pas alors il roule, il roule le plus longtemps possible. Il est 21h, il hésite à passer un dernier col au crépuscule pour finir la journée. Les nuages semblent s'accumuler de l'autre côté de la vallée. Il n'a pas envie de finir une aussi belle journée sous la pluie. Mais les rares voitures qui en viennent sont sèches alors il poursuit. Arrivé près de Buttermere, il monte la tente au milieu des moutons qui le regardent, curieux mais quelque peu circonspects. Alors que les derniers rayons de soleil jouent avec les nuages pour enluminer le ciel et faire scintiller une cascade qui se faufile du sommet de la montagne jusqu'au lac en contrebas, Floyd s'apprête à passer une bonne nuit.

Il s'est endormi dans le magnifique Lake District. Quand il ouvre les yeux, changement de décor. Une pluie fine, tenace, qui lui fouette le visage à chaque bourrasque de vent, s'est installée et rend tout morne et terne. Il se réveille au Mordor au milieu de l'hiver.

Floyd reconnait bien là toute l'excentricité  britannique qui s'exprime jusque dans sa météo estivale et l'anti-conformisme de punk anglais que les gouttes martèlent à un rythme frénétique sur son gore-Tex alors qu'il replie la tente.

Quelques jours auparavant, il se serait trouvé bien malheureux, tout seul dans ce paysage désolé et triste, de devoir remballer sous la pluie, de repartir trempé à peine levé. Aujourd'hui il enfile ses gants sans y penser alors qu'il avait d'abord eu tant de mal à se résigner à les mettre en plein mois de juillet.

Le ruissellement de la pluie a fait son œuvre sur son esprit comme il l'a fait sur le paysage. Il y a creusé des sillons de résignation et d'abnégation mais a rendu encore plus aigus les pics d'humour et plus saillant le granit de son optimisme.

"I say, what a refreshing day for riding, isn't it?" Lance-t-il aux rares cyclistes qu'il croise.

En effet, il n'y a pas grand chose d'autre à faire sinon affronter stoïquement les éléments pour tenter de fuir cette désolation liquide, ce paysage aride de tant d'humidité tout en gardant un petit rayon d'humour pour éclairer toute cette grisaille d'un peu de rire jaune.

Keep calm and carry on.

Il mets le cap sur le mur d'Hadrien que l'empereur romain avait fait construire pour préserver son territoire de la menace des Pictes, ces guerriers qui se battaient le corps nu seulement recouvert de peinture bleue pour impressionner l'ennemi et pour montrer qu'ils ne craignaient pas que les coups pleuvent sur eux. S'ils devaient mourir, c'est que c'était écrit.

Floyd se demande s'il ne devrait pas faire comme eux. Quitte à être mouillé... Mais il
se dit surtout qu'au-delà de ce mur il fera peut-être meilleur, qu'il pourrait peut-être faire un pacte avec les Pictes pour leur piquer un peu de pigment et peindre un coin de ciel bleu au dessus de sa tête.

En attendant, il pleut toujours. La pluie n'est pas un compagnon de route agréable au premier abord, ni au deuxième d'ailleurs! Il est glacial, têtu, embêtant et semble ne jamais vouloir vous lâcher de la journée.

Mais à force de s'incruster, il commence à faire partie du voyage. Être trempé, replier sa tente sous la pluie, avoir froid, tout cela est devenu normal. Le soleil, l'été? C'est surfait! Floyd se surprend même à, sinon apprécier la présence de ce compagnon envahissant, du moins la tolérer de mieux en mieux, jusqu'à l'oublier presque.

What a splendid day, it's nearly not raining!

Les petits plaisirs deviennent plus intenses. Qu'il fait bon s'arrêter dans un café ou dans un pub pour se réchauffer un peu, sécher ses affaires et boire une soupe brûlante, comme il est lumineux le sourire des gens qu'il rencontre furtivement... Ses exigences se sont abaissées. Quand il pleut toute la journée, il fait moche. Quand il pleut par intermittence, il fait beau...

Et, si la pluie gâche souvent le  paysage, elle sait parfois le rendre mystérieux et fantasmagorique. Pas étonnant que nombre d'écrivains d'heroic fantasy aient pris leur inspiration dans ce pays aux noms évocateurs : Gore Bridge, Hell Hole,  Dead Water, ... tout un programme ! Il s'attend à voir surgir un Hobbit à tout moment. Même le beau temps a quelque chose de surnaturel. Ce n'est pas étonnant si en anglais une éclaircie se dit "sunny spell" sachant que "spell" peut se traduire par sortilège.

Heureusement, il a un allier fidèle: le vent qui lui donne le petit coup de pouce en haut des montées et qui lui sèche sa tente en moins de deux dès qu'il ne pleut plus. Oh, parfois ils ne sont pas bien d'accord sur la direction à prendre mais en véritable amis ces chamailleries ne durent jamais bien longtemps et ils se remettent très vite sur la même longueur d'onde.

Grâce à lui, Floyd a déjà atteind le mur d'Hadrien. Mais le ciel reste obstinément gris. C'est comme ci la couleur avait renoncé à venir jusqu'ici...

Une fois la muraille franchie, Floyd a l'impression de s'enfoncer en territoire inconnu, inexploré, hostile. Il est Jon Snow s'aventurant chez les Wildlings. C'est bête car la civilisation n'est qu'à quelques kilomètres de lui. Il a le sentiment étrange d'être observé et doit ressentir quelque chose d'assez semblable à ce que les soldats romains qui s'aventuraient dans cette région devaient ressentir, une sorte d'inquiétude sourde.

Quand il lève la tête il s'aperçoit que des centaines d'yeux sont rivés sur lui. Les autochtones à laine et à cornes n'ont pas l'air d'avoir l'habitude de voir des cyclistes dans ces contrées reculées. Heureusement, ils ont plus peur de lui que le contraire.

Non, le plus difficile n'est pas la pluie. Le plus dur à gérer est la solitude des terres qu'il traverse et qui infiltre son moral.

Alors qu'il n'était qu'à quelques dizaines de kilomètres de mégalopoles telles que Manchester ou Leeds, il a traversé des landes totalement désertes, abandonnées au moutons. Une facette de l'Angleterre qu'il ne connaissait pas ou du moins qu'il n'avait jamais ressenti de façon aussi intense.

Puis tout à coup, alors qu'il traverse un petit village côtier, un rayon de soleil plus persévérant que les autres perce enfin la carapace ouateuse au-dessus de lui. Bientôt, toute la muraille grise éclate dans une explosion de lumière.

Une fillette de 3 ans semble toute étonnée, un peu effrayée devant le spectacle, comme une enfant qui decouvrirait la neige pour la première fois. Il imagine la conversation entre elle et sa mère : "Mais maman, quelle est cette étrange lumière et cette chaleur qui envahit mon corps et c'est quoi ce truc qui brille dans le ciel ?"

"C'est le soleil, ma puce, le soleil!"

dimanche 6 août 2017

Scotland 2017 - Lille - St Andrews (Les chiffres et la carte)

Lille (France) - Saint Andrews (Scotland)

26 jours de voyage
19 étapes
7 jours de repos (rando, tour à vélo, farniente, lessive, ...)

22 cols gravis (1 en France et 12 au Pays de Galles, 9 en Angleterre)
Le plus haut: Gospel Pass (550m)
Le plus bas: Bwlch (56m)
Le plus fort pourcentage: Hardknott Pass (30%)
Le plus tard: Newlands Hause (21h)

Etape la plus longue: 01 Lille-Le Tréport 163,5 km
Etape la plus courte: 09 Beddgelert-Llanbéris 24km
Etape avec le plus de D+: 06 2265m d'élévation d'après oruxmaps
Etape avec le plus de cols: 07 4 cols pour 104km soit un col tous les 26 kilomètres

Partie 1: Lille-Crewe -12 étapes - 13 cols - 4 jours de repos - 1162 km soit 97km/étape en moy.
Partie 2: Crewe-St Andrews - 7 étapes - 9 cols - 1 jour de repos - 853 km soit 122km/étape en moy.

Total: 2015 km
soit 77,5 km/jour ou 106km/étape en moy.

Avaries:
Au moins une dizaine de crevaison, j'ai arrêté de compter. Mauvais choix de pneu.
Manette de dérailleur avant bloquée

Et la carte du parcours réalisé pour l'instant avec les cols, les lieux intéressants et les étapes.

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