Le vélo qui fait voyager

dimanche 16 juillet 2017

4 minutes

4 minutes ! Floyd MacBryn a perdu 4 minutes. C'est dérisoire et pourtant, c'est essentiel, ça fait toute la différence.

Jusqu'à présent, le paysage était bien monotone avec tous ces petits cottages aux toits de chaume ou de pierre, ces haies proprettes et tous ces moutons saupoudrés sur les collines. C'était mignon comme tout mais ca manquait de caractère... Floyd aurait apprécié quelque chose de plus corsé, de plus fort. Il aurait voulu du maroilles ou au moins du roquefort, du blue stilton, du stinking bishop... Et on lui propose du gouda ! C'est sympa le gouda mais un peu fade.

Alors pour tromper l'ennui, Floyd s'est lancé un défi: parcourir les 10 prochains kilomètres à 20 km/h de moyenne.

Il était bien parti. Il survolait les petites routes encastrées de remparts végétaux. Il avait même atteint jusqu'à 2 minutes d'avance.

Puis, patatra! Sans crier gare, le paysage décide de se faire plus alléchant. Impossible de faire autrement, Floyd est obligé de s'arrêter pour prendre une photo. Il libère son portable de son guidon mais l'objectif est tout embué. Il l'essuie avec son maillot, c'est pire. Il tente avec ses doigts, quel naïf ! Finalement, il doit sortir le gant de toilette pour le nettoyer correctement. Et voilà 4 précieuses minutes de gaspillées...

Une fois la photo prise, il repart. Tout n'est peut-être pas perdu. Il fonce le long de ces petites routes encaissées mais avec la plus grande des vigilances car elles  réservent parfois quelques surprises. A chaque virage, il s'attend à voir débouler un mouton ou une voiture

Il dépasse rarement les 40km/h mais son estomac remonte dans sa poitrine à chaque descente à cause des brusques changements de dénivelé et de l'impression de vitesse renforcée par l'etroitesse des routes. Il se fait parfois peur.

Au moins, dans ces tranchées, pas de guerre! Les voitures patientent derrière ou se rangent pour laisser passer. Avec un petit signe amical en plus. Floyd ne se sent pas seulement respecté en tant que cycliste, il se sent considéré. Et les encouragements ne manquent pas. Du coup, il n'hésite pas à couper son élan pour permettre aux automobiles de le doubler.

Allez, si le relief en est d'accord, il peut encore relever son défi! Il a déjà repris 2' sur son retard. Mais celui-ci en avait décidé autrement et dans le dernier kilomètre, il déroule une traitresse montée. Floyd échoue pour quelques dizaines de malheureux mètres.

Mais au moins il n'a pas vu le temps passer ! C'est déjà ça de réussi.

C'est bien joli les défis à la noix mais ça creuse. Ça tombe bien, il arrive au niveau d'un café qui lui promet de merveilleux "treats". Ça l'intrigue. Une vieille dame joviale l'accueille d'un

"Shall I put the kettle on, then?"

"Yes, please! And what about those treats?"

Elle lui présente un assortiment de gâteaux maison. Floyd se laisse tenter par le banana, chocolate and walnut bread.

"Buttered?"

"Buttered!"

Il se sent bien accueilli ici. Pas comme lors de sa pause précédente au Cricket Club de Usk où les gens étaient aussi hermétiques que les règles de leur sport préféré.

"Vous allez passer par le Gospel Pass alors?" Lui demande la vieille dame.

Ah, c'est vrai, il l'avait oublié celui-là, le plus haut col routier du Pays de Galles qui culmine, attention, à un faramineux 549m... Mais il ne faut quand même pas le sous-estimer. Il est irrégulier et présente des rampes à 12%.

En reprenant sa route, il commence à regretter son petit défi de tout à l'heure...

Cependant, le paysage se fait plus majestueux et il oublie vite sa fatigue. Ce n'est pas de la grande montagne mais l'endroit se montre déjà plus sauvage.

La route, elle, se montre parfois plus docile et alors que les routes étroites et encaissées n'invitaient pas à l'introspection, ces espaces plus ouverts absorbent toute son attention. Plus besoin de se lancer de défi, il perd totalement la notion du temps.

La vallée raisonne des cris des milans. Un grand calme, que seuls le ruissellement des cours d'eau ou les bêlements des moutons viennent troubler, l'envahit.

Petit à petit la crasse qui encombraient ses synapses se détache en lambeaux qui s'écrasent mollement sur le bitume dans son sillage.

Il se laisse imprégner par la sérénité des collines imperturbables qui l'entourent comme lorsqu'un ami vous pose une main bienveillante sur l'épaule. Il ressent un bien être jusqu'au plus profond de lui-même, une sorte d'amour pour ce paysage, pour Ie monde, pour la vie.

Étrange pour un homme du Plat Pays de se sentir aussi à son aise dans les montagnes !

Mais les amis, ça fait des sales coups aussi ! Perdu dans ses pensées, Floyd se retrouve soudainement face à un mur, dernier rampart avant d'atteindre le sommet du Gospel Pass.

Après quelques efforts, il en vient à bout. Ce n'est pas le plus grandiose ou le plus difficile des cols qu'il ait gravi. Mais il se défend pas mal. Les nuages sont bas à l'horizon, si bas qu'on dirait qu'ils ont trop écouté Jacques Brel.

Mais la vue est splendide. À ses pieds, tout le Pays de Galles s'étale, comme une promesse de belles aventures à venir.

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