Le vélo qui fait voyager

mardi 30 mai 2017

L'onsen sous la mer


Baignoire, encore un peu vaseux après la soirée d'hier, a embarqué sur un ferry en direction de Yakushima avec l'idée de profiter des 4h de voyage pour récupérer un peu. Mais Taka en avait décidé autrement. Ce motard d'Hiroshima lui a sauté dessus dès qu'il l'a vue afin de tromper l'ennui de la traversée en bavardant. Malgré lui, Baignoire se voit embarqué dans une discussion passionnante sur  leur destination. Taka en est tombé follement amoureux et y revient plusieurs fois par an.

Yakushima est un petit rocher paradisiaque culminant à 1935m (tout de même!) perdu au milieu de l'océan, tout au bout du bout de l'archipel nippon. La plupart des gens vient à Yakushima pour randonner dans sa magnifique forêt de cèdres millénaires dont Miyasaki se serait inspiré pour planter le décor de Princesse Mononoké


Il s'agit d'une forêt primaire luxuriante et exubérante où les arbres poussent les uns sur les autres. Leurs racines tortueuses et envahissantes se faufilent partout et enlacent le moindre rocher. 


De quoi se laisser ensorceler ! Mais Baignoire en a déjà assez avec sa gueule de bois, il n'est pas venu ici pour admirer des arbres. Il a un but bien précis. Il en rêve depuis des années.



Une fois débarqué, Baignoire met le cap au nord. Il déniche de belles plages où les tortues caouannes viennent pondre au printemps. L'eau y est merveilleusement chaude et il passe un petit moment à barboter dans les vagues tandis que les fumerolles d'un volcan s'élèvent à l'horizon.


Difficile de ne pas rester ici plus longtemps mais Baignoire sait que d'autres merveilles l'attendent un peu plus loin alors il reprend la route qui serpente dans la forêt. Il croise de nombreuses biches sika et d'innombrables singes. La route est parfaite pour prendre son temps et admirer le paysage: elle est ombragée et émaillée de cascades rafraîchissantes. 


Il met 3 heures pour parcourir une vingtaine de kilomètres.


Sans se presser, tout doucement, comme s'il voulait faire durer le plaisir, il s'approche de sa destination tout au sud de l'île. On dirait presque qu'il ne veut pas l'atteindre... Peut-être a-t-il peur d'être déçu ou sans doute veut-il savourer au maximum ce moment particulier. Certainement un peu des deux. Il y arrive vers 6h du soir alors que le soleil commence à décliner et que la mer commence à peine à se retirer. Presque sans le faire exprès, il y arrive au meilleur moment, lorsque l'océan dévoile peu à peu le trésor qu'il cache ici: 平内温泉. C'est à dire Hirauchi Onsen ou plutôt une source d'eau chaude sous la mer. On ne peut y accéder qu'à marée basse !


Baignoire s'avance d'abord d'un pas circonspect mais cet onsen si particulier n'est pas bien différent de tous ceux qu'il a déjà fréquenté. L'équipement y est sommaire. Un tronc où glisser une pièce de 100 yens pour participer à l'entretien, quelques bassines pour se rincer, des trous creusés à même la roche pour servir de bain et c'est tout.

Un grand-père et sa petite fille ont déjà pris possession des lieux et accueillent le nouveau venu avec bienveillance. Après s'être lavé, Baignoire se glisse nu comme un ver, c'est la règle, dans un des trois bains disponibles. Celui-ci est plutôt froid car l'eau de mer y est encore fortement présente, renouvelée à chaque fois que d'inlassables vagues viennent s'y engouffrer. Mais des courants d'eau chaude glissent le long de son dos et lui caressent les reins. C'est agréable à en frissonner.


Au fur et à mesure que le soleil descend et que la mer se retire, son bain devient de plus en plus chaud. Les étoiles commencent à apparaître et, enveloppé dans sa douillette couette liquide, Baignoire se laisse peu à peu aller à la rêverie que vient interrompre de temps en temps une vague plus forte et facétieuse que les autres, qui éclabousse les baigneurs et qui refroidit à nouveau le bassin. Ce espièglerie amuse beaucoup la petite fille qui éclabousse à son tour les rochers de son rire cristallin. Naturellement, elle considère Baignoire comme son compagnon de jeu et fait mine de l'arroser avec sa bassine tandis que le vieux monsieur lui montre comment bien profiter de cet onsen très particulier en écopant l'eau de mer du bassin pour qu'elle se réchauffe plus vite.


Bientôt d'autres personnes, les rejoignent et emplissent peu à peu les différents bains creusés dans la roche. Cet onsen est un des rares qui soient mixtes et quelques femmes s'y aventurent. Contrairement aux hommes, elles ont le droit de garder une serviette autour de leur corps, même dans l'eau.

Les humains ne sont pas les seuls à profiter de l'endroit. Des grappes de petits poissons tout gluants bondissent et frétillent de rocher en rocher ou se laissent emporter par les vagues pour revenir se trémousser de plus belle. Ils semblent tout droit sortis d'un film d'extra-terrestres. Baignoire n'arrive pas à les prendre en photo. Ils s'éparpillent et disparaissent dès qu'il fait mine de s'avancer vers eux.


Il apprendra plus tard qu'il s'agit de gobies, des petits poissons affublés d'une ventouse ventrale. Mais pour le moment, tandis qu'il admire les étoiles, il pense plutôt qu'il est sur une autre planète. Entouré par ces bizarroïdes bestioles et bercé par le murmure de paroles qu'il ne comprend pas, il s'est laissé emporté loin, très loin, dans un autre monde.