Le vélo qui fait voyager

samedi 14 mai 2016

La quête de la Dive Bouteille

Je suis venu à Saumur avec l'idée d'en rapporter une bouteille de vin. Que dis-je, LA bouteille de vin car je ne peux en prendre plus dans mes sacoches. Ce sera celle qui donnera une raison à ce périple déraisonnable, celle qui donnera tout son sens à cette aventure insensée.

Cependant le terroir de la région est tellement riche que je ne sais pas par où commencer: Saumur-Champigny, Chinon, Anjou, Côteaux de Bourgueil,  Touraine... Je n'ai pas encore bu une goutte d'alcool que déjà la tête me tourne !


Finalement, une évidence s'impose: mon Graal se trouve au pays de Rabelais ! Lui qui, bon vivant et fin connoisseur ès breuvages raisineux, y avait fait vivre tant d'aventures à Gargantua et à son fils Pantagruel. Et, tel ce dernier en son temps, je m'élance moi-même en direction de Chinon et de Cravant-les-Côteaux en quête de la Dive Bouteille. De toute façon, Gargantua me doit bien ça! Lui dont la jument a chassé les mouches si fort avec sa queue qu'elle a rasé tous les arbres de la Beauce et par la faute de laquelle je me suis pris un sacré vent de face!


Je décide également d'en profiter pour rejoindre l'ami Sylvain, un autre vadrouilleur à vélo, qui descend la Loire en compagnie de ses parents.

Quelques kilomètres à peine après le départ, voilà que je m'enfonce dans une épaisse forêt. Soudain des détonations retentissent par salves de quatre tout autour de moi. Tac Tac Tac Tac. Ça n'arrête pas. Les guerres pichrocolines sont pourtant terminées depuis quelques siècles maintenant. Ce n'est donc point cela. Il s'agit en fait de tirs d'entraînement de l'armée et je me rends compte que je suis encerclé de terrains militaires. Il ne vaut mieux pas que je m'éloigne du chemin où je ne donne pas cher de ma peau !



C'est donc ça le véritable son de la guerre, ça me fait froid dans le dos... Malgré tout la forêt est belle et la balade agréable. Le relief est plaisant: assez de buttes pour ne pas s'ennuyer mais pas trop pour ne point fatiguer.



J'arrive bientôt à l'étrange abbaye de Fontevraud puis je mets le cap vers Seuilly et la maison natale de Rabelais. J'aperçois mon premier château, celui de Coudray-Montpensier.


Cela fait déjà un moment que le son du canon s'est estompé. Mais un bruit suspect se déclare au niveau du moyeu de ma roue avant: ma plaquette de frein veut se faire la malle. J'essaie de la remettre en place. J'ai beau me battre avec elle, rien n'y fait, la mule ne veut rien savoir. Je suis donc obligé de l'amputer et de poursuivre mon périple sans si je ne veux pas rester avec mon biclou sur le bord de la route...

Je repars prudemment mais j'ai perdu 30 précieuses minutes dans l'affaire et, si je veux visiter une cave puis retrouver mes compagnons du côté de Villandry, je n'ai pas trop intérêt à trainer.




Après quelques kilomètres, j'arrive à Chinon puis je longe la Vienne et ses coteaux. Je passe devant quelques propriétés viticoles mais aucune ne m'inspire et je ne sais dans laquelle faire halte. Je trace alors mon chemin qui semble se mouvoir de lui-même tellement je file. C'est à dire qu'il est maintenant plus difficile de réfréner les ardeurs de ma monture.

Je passe par Azay-Le-Rideau mais je ne tarde pas car le château est en réparation. Je retrouve ensuite Sylvain et ses parents qui font bombance sur une table de pique-nique en bord de Loire. Ils sont partis d'Orléans et comptent rejoindre la Bretagne en quelques jours. Je fais un bout de route avec eux.



Nous longeons la Loire par des lieux aux noms évocateurs: Villandry, Langeais, Ussé, ... C'est une orgie de châteaux ! L'indigestion nous gagne rapidement. On ne quitte même plus la véloroute pour les admirer de près.



Le temps passe vite en leur compagnie et on arrive bientôt au camping de Chinon où ils ont décidé de bivouaquer pour la nuit, sous la protection de la forteresse qui surplombe la ville. Quant à moi, je poursuis ma route vers Saumur.



Je n'ai hélas pas trouvé la Dive bouteille tant convoitée. Alors dès le lendemain, je remets le couvert ! Mon appétit pantagruélique de vélo n'a point été rassasié par les quelques 160 kilomètres de la veille. Cette fois, je mets le cap sur Doué-la-Fontaine qui semble être un épicentre de la production viticole et dont les environs regorgent de villages troglodytiques.



Auparavant, je passe chez un oracle du vélo afin de faire réparer mon frein et comme il est sympa et que la discussion coule à flot comme le vin dans la gorge de Grandgousier, j'en profite pour lui demander s'il ne connaitrait pas, par hasard, quelque vigneron sympathique à me conseiller. Je repars bientôt avec un vélo opérationnel et une précieuse liste de caves à explorer. L'une d'entre elles a particulièrement retenu mon attention: Le Petit Saint Vincent, un vigneron indépendant et bio qui récolte à la main. Ce sera celle que je visiterai si jamais aucune autre ne me tente en chemin.



Je sillonne la campagne. Le paysage se révèle séveux. Chaque village que je traverse foisonne de troglodytes et rivalise de pittoresque. Et de ces villages, d'innombrables chemins se répandent dans la campagne comme du jus du raisin s'écoulant du fouloir. Ce sont autant d'invitations à varier les plaisirs.



Je passe par l'étrange village de Rochemenier qui, de loin, ressemble à n'importe quel autre village de France, mais dont la majeure partie est subtergée comme un iceberg perdu au milieu d'un océan de labours.



Le soleil capiteux chauffe mes épaules, le vent est charpenté, il a du corps mais reste néanmoins aimable. Le bitume est plutôt soyeux. J'avale goulument les kilomètres de cette enivrante balade. Mais je ne trouve toujours pas la source que je recherche.



 Je change donc la fin de mon itinéraire et je m'arrête devant la porte du Petit Saint Vincent qui se situe à 6 kilomètres à peine de mon point de départ. Ah bah ça valait le coup de faire tout ce trajet, je vous entends déjà ironiser. Peut-être, peut-être...
 

En tout cas, je ne la tiens pas encore entre mes mains cette sacrée bouteille! Car lorsque je franchis le seuil du temple, je m'aperçois que le lieu est en ébullition. Le patron doit prendre l'avion dans quelques heures et finit de préparer une palette à expédier. Et moi, j'arrive comme un cheveu sur la soupe. Mais qu'à cela ne tienne (Étienne !) on me trouve vite une prêtresse pour me faire la dégustation. J'explique qu'étant à vélo je ne peux emporter qu'une seule bouteille mais elle n'en a cure et me fait goûter gracieusement de tous ses vins.
 


Et là, je la reconnais, la bouteille! La Bacbuc qui contient le divin liquide aux arômes exaltés par les kilomètres. J'y retrouve le parfum de la forêt, le goût du tuffeau, la couleur des champs, la chaleur du soleil, la fraîcheur du vent, le mystère des troglodytes, le panache des châteaux... Ce vin n'aurait jamais eu autant de saveurs si je n'avais arpenté la région en long et en large à la force du mollet et chaque gorgée que j'avale me le rappelle distinctement: IN VELO VERITAS !



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2 commentaires:

  1. Eh ben les breuvages raisineux t'inspirent autant que les houblonnés ! Très beau texte.

    Petite rectification, car tes agapes te l'ont fait voir couler dans l'autre sens : on la descendait la Loire.

    Sylvain

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  2. Encore un phénomène paranormal inexpliqué... Merci pour la précision et le compliment. Tu pourras dire à tes parents que je parle d'eux dans mon blog.

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