Chère Maman,
C’est aujourd’hui que nous prenons le train pour accomplir
notre mission que nous préparons depuis des semaines.
Voir en plein écran
Dans mon compartiment s’alignent avec moi 4 poilus à la
barbe hirsute dont une exception qui confirme la règle. "Pourtant la Ste Barbe
c’était hier!", nous fera remarquer le jovial contrôleur. Celui-ci a d’ailleurs
une autre mission pour nous. Il va appeler sa collègue dont c’est
l’anniversaire aujourd’hui et nous devrons lui chanter « Joyeux
anniversaire » à son passage. Aussitôt dit, aussitôt fait, le contrôleur
nous remercie même au micro à l’arrivée en expliquant à tout le train le but de
notre voyage: partir d’Arras à vélo pour récupérer des munitions à la brasserieSt Germain d’Aix-Noulette et tenter de revenir entier.
Bref, nous partons joyeux, insouciants, la fleur au guidon
avec la volonté d’en découdre. Les côtes ne nous font pas peur, maman !
Elles verront bien de quel charbon on se chauffe.
A Arras, nous retrouvons le commandant Poilvain et son
détachement qui viennent de Paris pour nous prêter main forte. C’est la
dernière mission Dodéc’houblax de Poilvain et il vient officiellement passer le
flambeau à la section Nord. Je me blinde en apparence mais je suis touché.
Citadelle d'Arras ©Poilvain |
On quitte bientôt la ville. Dès le départ le tankdem est
accablé par une hernie au pneu arrière. Espérons qu’il tienne le coup ! La
première percée se fait au Mont St Eloi. Les nouvelles recrues sont un peu
décontenancées. Cependant et malgré quelques dégâts (un dérailleur tordu sur le
vélo de Poiloris) la place est prise au bout de quelques minutes. Ici on trouve
les ruines d’une ancienne abbaye pilonnée pendant la première guerre mondiale.
Ses vestiges ont été conservés comme témoins de l’horreur destructrice de
ces 4 années de folie meurtrière et on les aperçoit à des kilomètres à la
ronde.
Nous repartons. Pour contrecarrer le vent, nous nous jetons de
vallée en vallée d’où surgit à chaque fois la pointe effilée d’un clocher qui
crève le ciel comme une baïonnette percerait l’uniforme d’un poilu.
Puis nous nous jetons à l’assaut de la crête de Notre Dame
de Lorette. A chaque fois qu’un pourcentage tombe sous nos roues, d’autres se
relèvent inlassables et toujours plus nombreux. 10, 15, 20%, la montée est
implacable. Nous poursuivons malgré les assauts du vent. Les dérailleurs
s’enrayent, beaucoup de nos camarades sont arrêtés net et posent pied à terre. Et
tout à coup, quand on n’y croyait plus, le sommet !
La colline domine toute la région et on imagine bien
l’importance stratégique du lieu. Près de 200 000 soldats y ont trouvé la
mort entre octobre 1914 et octobre 1915. C’est là aussi que sont enterrés des
milliers de poilus. L’alignement de croix de la nécropole, le plus grand
cimetière militaire français, donne le vertige mais ce n’est encore rien à côté
de la masse de noms qui couvre l’Anneau de la Mémoire. Inauguré en 2014, ce vibrant
et émouvant message de paix réunit sans distinction de nationalité ou de religion
600 000 combattants de 40 nationalités différentes morts dans le froid et la
boue du Nord-Pas-de-Calais.
Pas le temps de creuser une tranchée cependant. Il faut
avancer pour atteindre l’estaminet. Cinq minutes plus tard, c’est la quille. On
profite pleinement de la chaleur de l’endroit car on sait que l’on doit bientôt
repartir au front. Les plats copieux nous ragaillardissent mais à peine finis,
il faut déjà y aller. L’opération est minutée précisément et le moindre retard
pourrait mener notre mission à sa perte. Le brasseur a bien insisté pour que
nous arrivions à 14h30 pile !
La force du vent et la résistance des montées est plus
importante que prévue. Poilubert est en souffrance avec son char d’assaut. Il
ralentit le groupe et propose qu’on continue sans lui. Mais on ne laisse
personne derrière, bon sang ! Un commando file en éclaireur tandis qu’un peloton
reste avec lui pour le soutenir et finalement nous atteignons notre but avec un
retard de 5 minutes à peine.
Brasserie St Germain |
La brasserie St Germain est connue pour la Page24. Le nom de
cette bière aurait été inspiré par un grimoire datant de 1176 sur « La
bière et ses bienfaits » dont il manquerait une page sur laquelle un
important secret de fabrication était soi-disant révélé. Cette page était
évidemment… la page 24.
Depuis 2002, cette micro-brasserie familiale s’est agrandie
petit à petit et a progressivement élargi sa gamme. Il s’agit maintenant d’une
brasserie artisanale qui produit plus de 10 000 hectolitres par an. On y apprend
qu’avant d’utiliser le houblon pour donner du goût à la bière, on utilisait
autrefois toute une variété de parfums comme la coriandre ou l’ortie. On y
apprend aussi que l’on consomme 78L de bière par an et par personne dans le
NPDC et qu’une soixantaine de brasseries y sont présentes. Les Zythocyclades
ont un bel avenir devant elles !
Mais il faut repartir avant que les renforts de la nuit ne
viennent soutenir le vent pour nous frigorifier. Et il nous reste Vimy à faire
capituler.
A la sortie de la brasserie, une nouvelle explosion de
dérailleur est fatale au vélo de Poiloris. C’est déchirant, mais on est obligé de l'abandonner sur place car il ne peut plus avancer du tout. Il faudrait amputer la
patte de son dérailleur. Il promet qu’il essaiera de nous rejoindre par tous
les moyens possibles. Mais il faut être réaliste, on sait au fond de nous qu’on
ne le reverra plus.
Nous ne sommes donc plus que 10 à poursuivre l’aventure mais
comme on dit, à la bière comme à la bière ! Petit à petit Poilémy et
moi-même, qui étions resté auprès de Poiloris pour essayer de le sauver, reprenons
du terrain sur nos camarades. On rejoint d’abord Poilubert qu’on retrouve dans
un sale état. Il souffre. Il est cramé. Puis on rejoint tout le reste de la
compagnie au sommet de Vimy où se trouve un imposant mémorial. Ici, on est en
territoire canadien et la terre ravagée par les obus a été laissée telle
quelle. On a du mal à croire que des soldats aient pu survivre sous la pluie d’obus
qui s’est abattue ici.
Vimy ©Poilvain |
Poilubert et Poilisnak décident de continuer seuls pour
ne pas nous retarder car le détachement parisien a un train à prendre. Satanée mission, on ne fait que perdre des camarades au fil
des kilomètres. Il fait froid et les assauts du vent redoublent de vigueur. Dans
ce paysage de désolation, avec le ciel qui embrase l’horizon et les tirs lointains des
chasseurs, nous entrevoyons de façon un peu floue l’horreur qu’a due être la
guerre des tranchées.
Mais bien emmitouflés dans nos vêtements techniques, on se
fait surtout plaisir sachant qu’un chocolat bien chaud nous attend quelque part
dans un bar niché sous les arcades de la magnifique place d’Arras. Lorsque nous
atteignons la gare, nous tombons dans les bras de Poiloris qui a réussi à
trouver un taxi-VTTiste pour le ramener en ville. Puis c’est au tour de
Poilisnak et de Poilubert d’arriver sains et saufs.
Place d'Arras |
Encore une virée au poil. Notre expédition pacifiste n’aura finalement
fait d’autres victimes que quelques vieilles pièces et des demis ! Et je me dis
que tout ce qu’il faut au monde, maman, pour arranger les choses, c’est une
bonne bière !
Plus rien de nouveau.
Ton cycliste de fils,
Poildudragon
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