Le vélo qui fait voyager

mercredi 26 octobre 2016

La méditation Vazen


風呂 n'était pas venu au Japon en quête de soi ou de spritualité. Il voulait juste tâter du bitume, se dépasser physiquement tout en découvrant le pays, sa culture, sa cuisine et se détendre dans les onsens après avoir avalé les kilomètres pour en prendre plein les mirettes. Il a eu tout ça; mais tellement plus aussi. Il ne s'y attendait pas.

Ça a commencé dès le premier jour de voyage quand Hiroko, son hôte warmshowers, l'a emmené au temple pour lui faire découvrir la méditation zazen avant son départ. La religion, c'est pas trop son truc, mais c'était une chance de découvrir une partie de la culture japonaise et il ne voulait pas la louper. Ils se sont donc levés à 5h30 car la séance prend fin à 7h.

Temple bouddhiste où se pratique la méditation zazen
La méditation zazen consiste à se concentrer sur ce que l'on ressent au moment présent pour se libérer l'esprit, pour y voir plus clair et atteindre une sorte de paix intérieure. D'essayer, en tout cas. Le concept est un peu plus complexe que ça mais Hiroko le résume ainsi: Si tu ressens de la faim ou si tu trouves que tu as chaud, c'est bien. Il faut se concentrer sur ces sensations. Par contre, il ne faut pas te dire "tiens j'irais bien manger une glace!". 

Il ne faut ni se projeter dans le futur ni retourner dans le passé. Il ne faut pas non plus combattre toute forme de pensée mais les laisser venir et aller jusqu'à ce qu'on ne ressente plus que le présent. Un sacré exercice de funambulisme spirituel !

C'est d'ailleurs difficile pour 風呂, voire même périlleux car la méditation zazen se pratique assise (facile?) en position du lotus ou semi-lotus (aïe !).

Paysage zen sur Shikoku
風呂 se retrouve donc assis pieds nus sur un tatamis, dans un temple, entouré d'une demi-douzaine de personnes. Un moine en position du lotus parfaite lui fait face. 風呂, lui, arrive à peine à croiser ses jambes, dans la douleur qui plus est ! Il en ressent des sensations: ses articulations qui lui font mal, la chaleur, la goutte de sueur qui descend le long de sa tempe, ses vêtements qui collent à la peau. Il ne va jamais tenir plus de 5 minutes ! Ah non, ça il n'a pas le droit d'y penser. Vite, se reconcentrer... La méditation zen, ça le stresse ! Heureusement, le moine abrège ses souffrances en faisant retentir la clochette qui annonce la fin de son calvaire.

Et le début de l'aventure ! Tandis qu'Hiroko part pour sa journée de travail, 風呂 part pour l'inconnu.

Voyager à vélo est aussi une sorte de méditation. On répète inlassablement le même mouvement, et on rentre dans une sorte de transe semi-consciente. Le cerveau se déconnecte, les pensées défilent au rythme du paysage. On refait le monde, on refait sa vie, on pense à des conneries. Un insecte de ouf (ce n'est pas ce qui manque au Japon) vous rappelle que vous n'avez toujours pas vu le film Microcosmos. Puis à la fin de l'étape, on ne sait pas vraiment à quoi on a pensé pendant toutes ces heures...

Insecte de ouf !
Tout comme la médiation zazen, le voyage de 風呂 a également commencé dans la douleur. Pour le dénivelé et la chaleur, il savait. Mais ce à quoi il ne s'attendait pas, c'est la difficulté à communiquer avec les japonais. La plupart des japonais qu'il croise dans la montagne ne laisse transparaître aucune émotion à son égard alors qu'il aurait besoin d'encouragements dans les montées bien raides. Il chérit le peu qu'il reçoit comme des trésors. 

Dénivelé de ouf dans les monts Hida
Quand il s'arrête, certaines personnes tentent quand même de lui parler et il se fait même offrir une bière une fois mais beaucoup ne maîtrisent pas l'anglais ou sont trop timides pour oser le parler. Et quoiqu'il fasse aucune notion de japonais semble vouloir s'incruster dans son cerveau. Il comprend juste "doko" qui veut dire "où". Alors quand il entend ce mot, il dit tout: d'où il vient, d'où il est parti au début du voyage, d'où il est parti aujourd'hui, où il va...
Norikura, un stratovolcan qui fait partie des 100plus belles montagnes du Japon
Mais pendant 3 jours, 風呂 n'a aucune vraie conversation avec quelque japonais que ce soit. Et après des heures et des heures de selle en solitaire, ça lui pèse. 

Le Norikura Kogen culmine à 3000m d'altitude, la route à 2700m.
Pourtant 3 jours, ce n'est rien ! Une française rencontrée à Wakayama est restée un mois avec des japonais qui ne parlaient pas anglais lors de son Shikoku Henro, un pélerinage de 88 temples autour de l'île de Shikoku. Quand ils ont fait connaissance, elle en avait des choses à raconter !

Paysage zen dans le parc national de Chūbu-Sangaku
風呂, lui, a eu la chance d'arriver à Gujo Hachiman assez rapidement. Un joli petit village de montagne connu pour son festival de danse qui dure tout l'été, ses eaux pures, ses carpes qui recyclent les détritus de cuisine et ses fabriques de répliques de nourriture que les restaurants japonais placent dans leur devanture. Rien que pour tout ça, 風呂 était heureux d'y aller. Mais il n'était pas au bout de ses surprises.

Atelier de répliques de nourritures: Sample Kobo
Le soir même, il se fait emporter par un tourbillon d'enfants en kimono qui se répandent dans les rues et semblent tous aller au même endroit. Il suit le courant et se retrouve dans une cour d'école pour le festival de danse des petits. Les enfants font tout, la musique et les danses, sous le regard bienveillant des adultes qui leur montrent les pas. Les générations et les époques affluent toutes ici. La soirée a quelque chose de magique.

Fête de village très zen
Le village tout entier aussi. Le lendemain, il se rend à l'office de tourisme pour trouver un hébergement. Il y rencontre Miharu qui lui propose de l'emmener faire le tour de la région pendant son jour de repos.

Art de rizière - à l'honneur le Ayu, petit poisson de rivière
Au restaurant le soir, il rencontre Kei qui lui donne de précieux conseils et qui lui permet de mieux comprendre la culture et la mentalité japonaise. Il apprend par exemple, que si des japonais t'invitent chez eux à Kyoto et qu'au bout d'un moment ils te proposent de boire le thé, c'est qu'il est temps de tirer sa révérence.

Amida-ga-taki - une des 100 plus belles cascades du Japon
Lorsqu'il fait chaud, il se baigne dans la rivière en contemplant les gosses du village qui se jettent dans l'eau du haut des rochers et des ponts.


Il se la coule douce a Gujo Hachiman. Mais le temps ne s'est pas arrêté. Au bout de quelques jours, il repart, plus serein.

Hachiman est homonyme de "80 000", cette rue est donc composée de 80 000 galets
Au fur et à mesure qu'il avance, il se rend compte à quel point le Japon est idéal pour le voyage à vélo. Il y a peu d'infrastructures spécifiques, mais la cohabitation entre cyclistes, automobilistes et piétons se passe plutôt bien et il est aisé de trouver des itinéraires bis pour éviter les gros axes.


L'eau potable est quasi omniprésente et au pire, il y a des distributeurs de boisson partout, même perdus au milieu des rizières.

Le château de Gujo. Pas authentique mais tout de même sympathique
Pour les victuailles, il suffit de se rendre dans un des innombrables konbinis qui poussent comme de la mauvaise herbe sur le bord des routes. Il n'a pas sorti la popote une seule fois du voyage !

Les konbinis sont aussi un des rares endroits où l'on trouve des poubelles
Et pour dormir, il plante sa tente dans les parcs. Tant qu'il se fait discret et respectueux, ça ne pose pas de problème. Les gens qui passent lui disent bonjour ou bonsoir et lui font même la conversation. Il y trouve de l'eau, des toilettes avec de l'électricité pour recharger son portable toute la nuit et surtout un panorama magnifique plus souvent qu'à son tour. Mieux qu'un camping de luxe, c'est l'auberge des mille étoiles !

Après où est Charlie, où est Big Agnes (ma tente) ?
Il aime se débrouiller par lui même, mais il sait aussi qu'il peut compter sur la sympathie des japonais si jamais il en avait besoin. Et c'est important. Il sait aussi que lorsqu'il traversera un moment difficile pendant le voyage, il y aura toujours un Gujo Hachiman au détour de la route pour le surprendre et l'émerveiller. Il n'y a donc jamais vraiment de raison de s'inquiéter.

Shirakawa-go et ses habitations montagnardes typiques aux toits en forme de "mains jointes"
Il avait d'abord envisagé son voyage comme une course aux kilomètres, il ne voulait rien louper, en voir un maximum. Finalement, il ne se passait pas grand chose. Maintenant, il va zen et il en voit et en vit davantage.

Brumes après la pluie
Petit à petit, il apprend à prendre tout son temps. Il essaie d'enregistrer mentalement le moindre détail de ce qu'il voit, de ce qu'il ressent, de profiter au maximum de tous les instants de son séjour, de savourer le moment présent même si ce n'est pas toujours facile ni possible. Il ne se préoccupe aucunement de ce qu'il mangera ce midi ni d'où il va dormir ce soir. Il verra le moment venu. Son esprit est libre, disponible pour accueillir tout ce que le voyage a à lui offrir.

Il est devenu zen.

Presque malgré lui.

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